Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Pêche au saumon

Type :

Patrimoine immatériel

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Savoir-Faire

Éléments associés

Patrimoine mobilier associé (16)

Description

La Gaspésie est le paradis de la pêche sportive au saumon. Elle se démarque actuellement par la plus forte concentration de rivières à saumon à l'échelle mondiale. Elle compte 22 rivières saumoneuses sur son territoire qui attirent les pêcheurs du monde entier par la beauté des paysages, l'expertise des guides, des camps mythiques et le grand nombre de saumons à taille respectable. À gué ou à bord d'un canot, les pêcheurs sportifs ne se lassent pas de taquiner le saumon de l'Atlantique, une espèce des plus combatives, sacré « roi des rivières ».

Poisson anadrome ou migrateur, le saumon de l'Atlantique nait dans l'eau douce d'une rivière, passe sa vie adulte dans l'eau salée de l'océan, avant de revenir frayer dans sa rivière natale. À qui appartient le saumon de l'Atlantique? En Gaspésie, à la fin du 19e siècle, trois groupes de pêcheurs se partagent la ressource : les pêcheurs autochtones, les pêcheurs commerciaux et les pêcheurs sportifs. Pour chacun des groupes, la pêche au saumon, c'est leur mode vie.

Au milieu du 20e siècle, la pêche au saumon connait des vagues successives de changements. Les stocks de saumon de l'Atlantique s'amenuisent en Amérique du Nord et la cohabitation des pêcheurs commerciaux et des pêcheurs sportifs devient de plus en plus difficile. La pratique de la pêche à la mouche, d'abord réservée aux élites financières et politiques, américaines et canadiennes anglaises, se démocratise sous la pression populaire et s'ouvre peu à peu à tous les amateurs de pêche au saumon du Québec et d'ailleurs.

La pêche commerciale du saumon cesse dans la baie des Chaleurs, en 1971, pour tenter de reconstituer le stock de saumons reproducteurs. Puis, elle est interdite à jamais au Québec en 2000. La ressource est maintenant partagée entre les autochtones et les pêcheurs sportifs.

La pêche sportive au saumon est l'un des moteurs économiques de la Gaspésie et du Québec. Elle génère un grand nombre d'emplois et contribue au maintien et à la transmission de pratiques culturelles fortement ancrées dans l'histoire, le territoire et la tradition. Les 22 rivières à saumons sont plus qu'une icône, il s'agit pour la population gaspésienne d'un véritable héritage collectif qu'elle se fait un devoir de se réapproprier, de préserver et de transmettre aux générations futures.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

Les Micmacs sont les premiers à pêcher le saumon dans la région. Sous le Régime français, le roi de France concède des droits de pêche exclusifs à des seigneurs ou à des compagnies afin de développer le territoire. La pêche au saumon au filet se pratique intensivement à des fins alimentaires pour fournir le marché local et à des fins commerciales pour exporter vers la mère patrie.

Au lendemain de la Conquête, en 1760, la pêche commerciale prend de l'expansion avec l'établissement des réfugiés acadiens et des loyalistes américains. Au même moment, les soldats britanniques lancent la pratique de la pêche à la ligne du saumon sur les rivières de la Gaspésie, une pêche récréative en vogue dans leur pays d'origine.

Au milieu du 19e siècle, la chute des stocks de saumon oblige les autorités gouvernementales à nommer une brigade de garde-pêches supervisée par l'inspecteur du Service des pêcheries pour surveiller entre autres les rivières à saumons. De nouvelles mesures sont mises en place dans les années 1860. Sept ans plus tard, les saumons reviennent peupler les rivières gaspésiennes.

Au tournant de la décennie 1870, la pêche commerciale du saumon est de nouveau florissante. Elle croît parallèlement au développement des moyens de transport. L'avènement du bateau à vapeur, puis l'ouverture du chemin de fer stimulent le commerce du saumon à la Baie-des-Chaleurs en rendant le poisson frais accessible aux marchés canadiens et américains. En 1886, quelque 250 pêcheurs utilisent des rets à saumon à la Baie-des-Chaleurs.

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Contexte

La pêche sportive fait de plus en plus d'adeptes après la publication de récits de voyageurs promouvant les rivières à saumons du Québec et de la Gaspésie dans les années 1850. De riches financiers et de politiciens influents, en majorité américains ou canadiens anglais, acquièrent les rivières des propriétaires riverains ou les louent à bail aux gouvernements. En 1865, la Sainte-Anne est la première rivière à être louée en Gaspésie. En 1872, six autres rivières sont louées dont la Cascapédia et la Matapédia, reconnues comme les deux meilleures rivières à saumon du Québec à la fin du 19e siècle.

Dans les années 1880, le gouvernement du Québec se voit confirmer par la Cour suprême du Canada que les droits de pêche sur leurs eaux intérieures relèvent de sa juridiction exclusive. C'est à ce moment que les clubs privés prennent leur essor. Le Restigouche Salmon Club, fondé en 1880 par un groupe de 40 hommes d'affaires new-yorkais qui achètent presque tous les terrains bordant les rivières Ristigouche et Matapédia, fait figure du plus prestigieux club de pêche de la Gaspésie. D'autres clubs privés de grande renommée vont se développer au début du 20e siècle : le Cascapedia Salmon Club, le Saint John Salmon Club et le Bonaventure Salmon Club.

Les clubs privés connaissent leur apogée vers 1950. La coopérative des pêcheurs de Carleton connait la sienne durant la même période. Elle exploite la plus importante pêche commerciale du saumon de l'Atlantique au Québec. La capture du « roi des rivières » dans la mer crée une source de conflit entre les pêcheurs sportifs et commerciaux. La cohabitation de ces deux groupes s'envenime dans les années 1960, avec l'effondrement de la ressource. À l'automne 1971, le gouvernement du Québec ordonne l'interruption de toute pêche commerciale autour de la péninsule gaspésienne.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Québécois réclament de plus en plus un droit d'accès à leurs rivières pour y pratiquer la pêche sportive. Le gouvernement du Québec amorce la première vague de démocratisation de la pêche à saumon en créant les réserves fauniques. La Petite rivière Cascapédia devient une des premières rivières publiques en 1945. Dans la seconde vague à partir de 1950, les pourvoiries s'implantent peu à peu sur les rivières à saumon. En 1978, la formule des clubs prive´s est balayée par la troisième vague. Elle cède la place à un mode de gestion plus démocratique : les zones d'exploitation contrôlée (zecs).

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Apprentissage et transmission

Les Micmacs utilisaient le nigog ou la foène pour pêcher le saumon dans le cours ou à l'embouchure des rivières. Terme d'origine micmaque, le « nigog » était une sorte de harpon à un dard situé entre deux mâchoires flexibles retenant le poisson une fois harponné. Pour faire bonne récolte, les Micmacs faisaient la pêche nocturne au nigog et au flambeau. La lueur du flambeau fixé à l'avant du canot attirait les saumons ou autres espèces. On les capturait alors en abondance. Au fil du temps, les braconniers reprendront cette technique éprouvée.
Succédant aux Micmacs, les colons français adoptent le nigog pour pêcher le saumon, puis le filet maillant. Mais, l'utilisation du filet se répand avec l'arrivée des Acadiens et des loyalistes, car les prises sont plus abondantes. Dans la baie des Chaleurs, les pêcheurs commerciaux emploient surtout les pêcheries à saumon, un engin de pêche fixe constitué de filets et de pieux. On retrouve aussi ce type de pêcheries dans la baie de Gaspé et sur la côte nord de la péninsule gaspésienne.
Dans la région de Carleton, les « pêches à saumon » se composent d'un guide et d'un port. Situé à la queue de l'engin, le guide est une barrière de filets et de perches qui part de la côte vers le large jusqu'au port. Le port ou la tête de l'engin, prenant la forme d'une tête de flèche, est constitué d'une succession de trois compartiments reliés entre eux par une porte centrale. Il est fait de perches et de filets maintenus verticalement par des ancres et des flotteurs.
Les saumons, arrêtés par la barrière de filets, longent cet obstacle pour reprendre le large. Arrivés à l'entrée du port, ils pénètrent dans le premier compartiment et se retrouvent dans une chambre-piège. Toujours à la recherche du large, ils s'insinuent dans le second compartiment pour aboutir au dernier, là où il n'y a pas d'issue. Pour récolter le saumon, les pêcheurs relèvent le filet qui forme le fond de la pêche en repoussant le saumon dans le dernier enclos. Les pêcheurs peuvent alors ramasser leurs captures vivantes au moyen d'une salebarde ou épuisette et les jeter dans le fond de leur embarcation appelée « flat ». Ils doivent les assommer, sinon les vigoureux saumons passeraient par-dessus bord et retourneraient à la mer.

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Espaces culturels

De la mer, le saumon de l'Atlantique remonte les rivières. La pêche sportive au saumon demande un équipement réduit. Le pêcheur doit leurrer le saumon à l'aide de mouches artificielles. La perche ou canne à pêche à la mouche est munie d'une perche, d'un moulinet, d'un fil en soie, d'un avançon et d'une mouche artificielle. Il existe différents types de mouches. Les mouches sèches flottent en surface de l'eau tandis que les mouches noyées plongent sous l'eau. Tous les éléments de la canne à pêche ne doivent souffrir aucune faiblesse ou aucun vice de construction, selon le pêcheur d'expérience Jean-Paul Dubé.

La technique de pêche à la mouche consiste à faire virevolter la ligne à plusieurs reprises dans un mouvement souple de fouet et de déposer la mouche sèche délicatement sur l'eau à l'endroit choisi, comme s'il s'agissait d'un vrai insecte en train de se poser gracieusement sur l'eau. Une fois la mouche à la surface de l'eau, le pêcheur doit la faire bouger en petites saccades pour agacer le saumon. Si un grand saumon saisit la mouche, le pêcheur le voit aux premières loges. Ainsi débute le combat entre le pêcheur sportif et le roi des rivières dont la durée varie selon la dimension ou la vigueur du saumon. Lorsque le pêcheur en sort vainqueur, il le récolte ou le remet à l'eau de façon sécuritaire selon la rivière et la période de capture. Il doit avoir nécessairement en main un permis spécifique à cette espèce.

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Objets

La pêche au saumon de l'Atlantique est une activité économique, une pratique culturelle et une source identitaire ayant un lien très étroit avec le territoire gaspésien. Au fil du temps, elle est indissociable du mode de vie des Micmacs, des pêcheurs commerciaux et des pêcheurs sportifs. Aujourd'hui, les pêcheurs micmacs et les pêcheurs sportifs peuvent encore capturer le saumon et se partagent la ressource. Quant aux pêcheurs commerciaux, ils ne pratiquent plus la pêche au saumon; ils ont levé définitivement leurs « pêches à saumon » en 1971.
De nos jours, la pêche au saumon traditionnelle, à des fins alimentaires, est toujours pratiquée par les Micmacs de Listuguj (Restigouche), de Gesgapegiag (Maria) et de Gespeg (Gaspé). Elle est aussi devenue une activité économique importante pour les Micmacs de Listuguj et de Gesgapegiag. Ces communautés micmaques considèrent les rivières à saumon comme des lieux pour perpétuer, transmettre les éléments de leur culture et de leur mode de vie.

L'identité des pêcheurs commerciaux de la Baie-des-Chaleurs a pris racine avec la fondation de la Coopérative des pêcheurs de Carleton en septembre 1923. Seule coopérative qui soit passée à travers la crise des années 1930, elle regroupait 100 pêcheurs de saumon répartis entre Maria et Miguasha et au Nouveau-Brunswick, en 1959. Ces pêcheurs ingénieux avaient perfectionné leurs pêches à saumon (pêcheries à saumon) et celles-ci pouvaient capturer les saumons vivants, donc des saumons de qualité supérieure.

Le saumon de l'Atlantique sous la marque « Carleton Brand » forgera la réputation de la Coopérative des pêcheurs de Carleton et la fierté des pêcheurs de saumon de la Baie-des-Chaleurs. Ce sentiment de fierté et d'appartenance territoriale rejaillira sur les habitants de la baie. Aujourd'hui, l'Écomusée Tracadièche de Carleton met en valeur cette glorieuse époque de la pêche à saumon avec une exposition et des activités dans la Cabane à Eudore, une cabane authentique de pêcheur de saumon. Des pêcheurs comme Adélard Roy de Miguasha ou Jos B. Allain de Carleton restent dans la mémoire comme des pêcheurs plus grands que nature.

Plusieurs communautés gaspésiennes s'identifient à la rivière aux saumons qui coule sur leur territoire, car cette rivière coule dans leurs veines. Cette eau vive fait partie de leur vie quotidienne, de leur album de famille et de leurs traditions. Les savoirs et les techniques de pêche au saumon se sont perpétués au fil des générations d'hommes et de femmes qui ont vécu de cette rivière. Plusieurs d'entre eux ont marqué le paysage et leurs noms désignent encore des fosses à saumon ou des bouts de rivière.

Avec l'avènement des clubs de pêche, guides de pêche, constructeurs de canot, fabricants de mouches, gérants de clubs, gardiens, cuisinières et préposés à l'entretien, tout un monde tenait une place essentielle à la bonne marche de cette activité récréative. Tôt, le printemps, les travailleurs saisonniers sentaient l'appel de leur rivière. Tout au cours de l'été, ils répétaient des gestes aujourd'hui inscrits dans la tradition.
La pe^che au saumon est bien ancrée dans le cœur des Gaspésiens. Reconnues mondialement, les 22 rivières à saumon de la Gaspésie ont fait un long parcours avant d'être confiées aux communautés riveraines avec la création de zones d'exploitation contro^le´es (les zecs). Mais, cet héritage collectif, l'un des fleurons de l'industrie touristique de la Gaspésie, repose sur un écosystème fragile. C'est à chacun de veiller sur les rivières pour garder vivant notre patrimoine culturel.

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