Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Inscrit au Registre du patrimoine culturel

Savoir-faire et pratiques associés aux pêcheries fixes du fleuve Saint-Laurent

Type :

Patrimoine immatériel

Autre(s) nom(s) :

  • Pêches à fascines

Région administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Capitale-Nationale

Thématique :

  • Patrimoine maritime et fluvial

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Pratique
  • Savoir-Faire

Éléments associés

Patrimoine immatériel associé (1)

Inventaires associés (1)

Description

Les savoir-faire et les pratiques associés aux pêcheries fixes du fleuve Saint-Laurent permettent, depuis plusieurs siècles, la fabrication artisanale d'engins de pêche et leur installation en vue de capturer des poissons. Les pêcheries fixes sont dirigées ou non, c'est-à-dire qu'elles peuvent cibler une seule espèce, comme l'anguille, ou différents poissons, toujours selon les saisons. Elles sont encore souvent appelées « fascines » en référence aux assemblages de branches coupées qui en faisaient partie, bien qu'aujourd'hui, le branchage (ou sapinage) est généralement remplacé par des filets ou du treillis métallique. Les personnes qui pratiquent la pêche à la fascine cherchent à attirer le poisson dans un piège, à le diriger vers l'entrée d'un enclos nommé parc, por ou coffre, selon sa forme, ses matériaux et sa disposition. À marée descendante, le poisson est emprisonné dans le dispositif puis « levé », c'est-à-dire déplacé dans un réservoir ou un vivier.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Désignation Élément du patrimoine immatériel Ministre de la Culture et des Communications 2023-10-26
 
Inventorié --
 

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Valeur patrimoniale

Les savoir-faire et les pratiques associés aux pêcheries fixes du fleuve Saint-Laurent sont tributaires de quelques personnes ou familles qui les perpétuent. Les récits d'explorateurs et de missionnaires en Nouvelle-France rendent compte de la présence de dispositifs de pêche fixe utilisés par les peuples autochtones, et de leur utilisation par les colons français. Les rares pêcheries fixes qui subsistent aujourd'hui sont érigées annuellement depuis plus de 150 ans. Chacune d'elles est aménagée en fonction de la topographie, des courants et des marées, ainsi que des espèces ciblées. Afin de capturer des poissons comme l'anguille, le capelan et le hareng, des filets sont installés sur des pieux, en laissant un espace pour une forme de nasse qui piège les poissons à marée descendante. Les personnes qui pratiquent cette pêche à gué ou à pied font ainsi preuve d'habileté et d'ingéniosité, et leurs savoir-faire reposent sur des connaissances acquises par observation et imitation, dont celles qui ont trait au comportement et à la migration des poissons à capturer. Au fil du temps, les matériaux des dispositifs de pêche ont changé et la forme du piège qui retient les prises a évolué, mais le principe demeure le même. Les pêcheuses et pêcheurs traditionnels transmettent les connaissances nécessaires à la mise en œuvre de leurs savoir-faire et perpétuent les pratiques techniques dans leur famille et leur communauté. À leur tour, celles-ci peuvent contribuer à l'installation de la pêcherie au début de la saison et participer aux activités connexes, telles que la vente et la transformation des prises. Les savoir-faire associés aux pêcheries fixes du fleuve Saint-Laurent – en conjonction avec le territoire où ils s'exercent, les dispositifs de pêche ainsi que les produits qui en découlent – suscitent un sentiment de fierté et de continuité, et forment un élément du patrimoine immatériel québécois qu'il est dans l'intérêt public de sauvegarder.

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Historique

Les pêcheries fixes en pierre ou en bois sont très anciennes. En Europe, les recherches archéologiques font remonter les premières pêcheries à 6 000 ou 7 000 av. J.-C. En Amérique du Nord, elles étaient utilisées par les Premières Nations avant l'arrivée des Européens comme en font foi de nombreux témoignages des explorateurs et de missionnaires au Nouveau Monde.

Profitant de la période de fraye ou de la migration des poissons, les différents dispositifs des pêcheries fixes autochtones étaient installés dans les zones à marée et sur les rivières. En 1609, Marc Lescarbot lors de son séjour en Acadie, décrit une pêcherie fixe chez les Mi'kmaq, ils « font une claye qui traverse le ruisseau, laquelle ils tiennent quasi droite, appuyée contre des barres de bois en manière d'arc-boutants et y laissent un espace pour passer le poisson, lequel espace ils bouchent quand la marée s'en retourne, et se trouve tout le poisson arrêté ». Il précise que l'esturgeon et le saumon y sont capturés de la même façon. Nicolas Denys, colon et entrepreneur en Acadie, souligne en 1632 que ce type de dispositif muni de nasses est également utilisé en rivière par les Mi'kmaq. Dans les relations des missionnaires, il est fait mention de plusieurs types de pêcheries fixes utilisées par les différentes nations autochtones. Le jésuite Le Jeune décrit en 1634 une pêcherie à l'anguille chez les Innus; ils font un petit mur de pierres, y laissent un espace pour une nasse. Rencontrant l'obstacle à marée descendante, les anguilles sont dirigées vers la nasse où elles restent piégées. Plusieurs des espèces capturées se prêtent à la conservation. Les poissons sont séchés et fumés et entrent dans la composition de la sagamité.

Pour les colons français installés dans les régions côtières, la pêche offrait une ressource alimentaire de première importance. Grâce aux droits de pêche accordés avec la concession de la terre, les pêcheries fixes étaient installées sur les rives du fleuve Saint-Laurent et sur les rivières. Pêche à pied nécessitant aucun équipement spécialisé, ce type de pêche était facilement accessible. De mai à octobre, on y pêchait différentes espèces. Diéreville à Port-Royal décrit en 1708 une pêcherie faite de pieux installée à l'embouchure des rivières où la marée monte. On y capture de l'alose, de la plie de l'éperlan, du hareng, de l'esturgeon, du bar, de l'anguille, de la sardine. À la même époque, Lahontan décrit en 1703 les pêcheries fixes le long du Saint-Laurent dans la région de Québec. Les pêcheries sont installées pour l'été. Il assiste à une pêche à l'anguille et décrit le dispositif : les claies (fascines) formant une palissade sont munies à intervalle des différents contenants «ruches, paniers, bouteaux, bout de quièvres». Les anguilles sont recueillies à marée basse; elles sont salées et mises en baril pour l'hiver. À la fin du Régime français, Pehr Kalm décrit le même type de pêche aux environs de Québec en 1749. À Petite-Rivière, près de Baie-Saint-Paul, il note également que les habitants disposent de claies sur les battures pour capturer le marsouin (béluga) dont on fait de l'huile. Un peu plus d'un siècle plus tard, l'abbé Henri-Raymond Casgrain décrira cette pêche sanglante pratiquée depuis le début du 18e siècle à Rivière-Ouelle et à l'Isle-aux-Coudres.

La consommation des espèces ainsi pêchées est domestique. Les surplus sont vendus localement ou utilisés comme engrais pour la culture. À cause de leur conservation et de leur valeur marchande, quelques espèces sont commercialisées : l'anguille est salée et mise en baril, le hareng est salé ou fumé et l'huile de marsouin est utilisée pour ses qualités lubrifiantes et pour l'éclairage. Son cuir servira également à confectionner divers objets et des vêtements.

En 1871, le Québec comptait 1 369 pêcheries fixes, plus de 870 étaient situées en zone de marée du fleuve Saint-Laurent jusqu'aux environs de Trois-Rivières et sur le Saguenay.

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Contexte

Un inventaire mené à la fin des années 1960 dans l'estuaire du Saint-Laurent montre la grande diversité des pêcheries fixes. Elles variaient par leurs formes, le nombre de parcs ou de coffres, la disposition des ailes et les matériaux utilisés. En 2017, peu de pêcheries fixes subsistent : une quinzaine de pêches dirigées pour l'anguille et quelques pêches de capture non-dirigées (conçues pour prendre différentes espèces selon la période de l'année).

Les pêcheries non-dirigées sont installées en avril à la fonte des glaces et retirées fin octobre lors des grandes marées. Pendant cette période de marées de vives-eaux, le niveau de l'eau est à son plus bas. De deux à trois marées sont nécessaires pour tendre ou retirer la pêche.

Bien qu'il y ait des variations dans les pêcheries, en général l'ouvrage comprend un guide, un parc et une ou deux ailes. Le guide (guideau, chasse) permet de conduire le poisson vers le piège. Le guide est installé perpendiculairement formant un angle avec le rivage. Selon la topographie, il sera plus ou moins long. Les fascines ou «lacis» ont été remplacés par des filets ou du treillis métallique. Le poisson arrêté dans sa progression suit le guide et entre dans le parc.

Le parc (por, coffre, «C») est la chambre de capture. Circulaire ou rectangulaire, avec ou sans couvercle, il est fait de filet ou de treillis métallique. Il est muni d'une entrée. Lorsque la marée descend, le poisson se trouve piégé, ne pouvant ressortir du piège.

La pêcherie est composée d'une ou deux ailes (raccroc). Accrochées au parc, elles sont plus courtes et forment un angle d'environ 45 degrés avec le guide. Les ailes tout comme le guide servent à diriger le poisson. Le nombre et l'orientation dépendent de la topographie et des marées.

Les savoir-faire et les connaissances liés à la construction de la pêcherie sont transmis de génération en génération. La topographie de la rive, les courants, les marées, le fond marin, le comportement et la migration des poissons à capturer sont les éléments dont il faut tenir compte dans la conception et la construction des pêcheries.

À Saint-Irénée (Charlevoix), la pêche se compose d'un parc rectangulaire de 3,6 m x 6 m x 3,6 m. Les filets sont installés sur une structure de métal munie de poteaux de bois.Le guide mesure 55 m et l'aile 9 m. Les filets sont montés sur des pieux fichés dans le sol, étayés par des cordes. Un système de poulies actionné par des treuils permet de baisser la pêche en cas de mauvais temps.

La pêche de l'Isle-aux-Coudres est fabriquée en métal. Le parc mesure 2 m x 2,5 m x 2 m et est équipé de deux entrées : une ouverture du côté du guide et de l'aile par où le poisson entre et l'autre fermée donnant sur le large. La chasse (38 m) et l'aile (24 m) sont faites de panneaux en treillis de métal lestés de pierres.

À Sainte-Luce-sur-Mer, la pêche est entièrement composée de pieux et de filets. Le parc est circulaire. L'entrée est divisée en deux par le guide. Des deux côtés de l'entrée s'étendent deux ailes terminées en forme de crochet (croc). Ce type de pêche était autrefois en usage dans le Bas-Saint-Laurent pour la pêche au hareng.

Le poisson est «levé» à marée descendante, deux fois par jour, avant que le parc ne soit à sec. Les pêcheurs utilisent la «salebarde» (salabre : épuisette à long manche), le «vasigot» (régionalisme : épuisette à fond peu profond) et le grand haveneau (bout de filet dont les extrémités sont munies de morceaux de bois).

Le vent, les phases lunaires, les conditions climatiques ont une incidence sur les captures. Le printemps est la meilleure période pour la pêche. Les premières captures sont le capelan, le hareng et l'éperlan suivent le poulamon, le corégone et la «sardine». La saison se termine en automne avec l'anguille. D'autres espèces sont capturées (bar, plie, etc.) mais sont remises à l'eau. Pour chacune des espèces, un permis est nécessaire et la capture de certaines espèces est interdite (bar).

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Apprentissage et transmission

Les pêcheries qui subsistent aujourd'hui datent de plus de 150 ans. En effet, les pêcheurs soulignent qu'il y a toujours eu des pêches à fascines dans leur famille. L'apprentissage se fait dans le milieu familial. Ils ont appris de leur père, de leur grand-père, de leurs oncles par observation et imitation. Certains d'entre eux ont commencé à pêcher lorsque les pêches étaient confectionnées de fascines. Même si les matériaux ont changé, les connaissances et les savoir-faire traditionnels demeurent essentiels au bon fonctionnement de la pêche. Les techniques d'installation, l'orientation de la pêche, la connaissance des espèces, les meilleures conditions de pêche sont transmises oralement de génération en génération.

Les pêcheurs notent cependant qu'avec les changements climatiques, les captures fluctuent beaucoup d'une année à l'autre et que le poisson est moins abondant. La température et le niveau de l'eau, les conditions climatiques de plus en plus extrêmes font que les pêcheurs doivent s'ajuster à cette nouvelle réalité.

L'installation de pêcheries nécessite une main-d'oeuvre abondante pendant une courte période. Une corvée réunissant la famille et les amis est organisée pour ériger la structure. Les membres de la famille (enfants, frères, soeurs) participent à la levée du poisson et à la vente. C'est souvent la conjointe du pêcheur qui s'occupe de la vente. Le poisson est vendu localement, frais et entier. Les clients sont des habitués. Lorsque le poisson arrive au printemps, c'est par le bouche-à-oreille que la nouvelle se répand.

Tout comme leurs ancêtres, les pêcheurs pratiquent un autre métier. La pêche est un revenu d'appoint souvent associé à la production agricole.

Malgré l'intérêt et la passion des pêcheurs, la transmission n'est pas assurée. Le travail est dur et exigeant, les revenus fluctuants et la clientèle vieillissante. Pour certains, la poursuite de cette pêche patrimoniale devra se moderniser tant dans la nature des matériaux utilisés que dans la transformation et la création de produits mieux adaptés au marché.

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Emplacement

Region administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Capitale-Nationale

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Références

Notices bibliographiques :

  • Enregistrement avec GAUTHIER, Julie, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « Pêcheries fixes », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Saint-Irénée, 26 avril 2017.
  • Enregistrement avec GAUTHIER, Noël, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « Pêcheries fixes », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Saint-Irénée, 25 avril 2017.
  • KALM, Pehr. Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749 / traduction annotée du journal de route par Jacques Rousseau et Guy Béthune, avec le concours de Pierre Morisset. Montréal, Pierre Tisseyre, 1977. 674 p.
  • LAHONTAN, Louis Armand de Lom d'Arce, baron de. Oeuvres complètes (Édition critique par Réal Ouellet avec la collaboration d'Alain Beaulieu). Bibliothèque du Nouveau Monde. Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1990. 1474 p.
  • LESCARBOT, Marc. Histoire de la Nouvelle France contenant les navigations, découvertes, & habitations faites par les François [...]. Paris, Jean Milot, 1609. 888 p.
  • Enregistrement avec MAILLOUX, Robert, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « Pêcheries fixes », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Isle-aux-Coudre, 23 septembre 2017.
  • MOUSSETTE, Marcel. La pêche sur le Saint-Laurent : répertoire des méthodes et des engins de capture. Montréal, Boréal Express, 1979. 212 p.

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