Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Pêche à l'éperlan dans le Saint-Laurent

Type :

Patrimoine immatériel

Région administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Capitale-Nationale
  • Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine

Thématique :

  • Patrimoine maritime et fluvial

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Pratique
  • Savoir-Faire

Éléments associés

Inventaires associés (1)

Description

La pêche à l'éperlan arc-en-ciel est une tradition ancienne qui fait partie du patrimoine des populations riveraines de l'estuaire et du golfe Saint-Laurent. La pêche récréative à la ligne se pratique du printemps à l'automne sur les quais et les rives des régions côtières. En hiver, directement sur la banquise ou dans de petites cabanes pour se protéger du froid, les pêcheurs percent des trous dans la glace à l'embouchure des rivières pour pêcher à la ligne morte.

L'éperlan est également pêché commercialement en Gaspésie en automne et en hiver. La pêche traditionnelle et artisanale se pratique aux filets sous la glace depuis des générations dans la Baie-des-Chaleurs.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

La pêche à l'éperlan était connue en Europe. Cartier lors de ses explorations note la présence de l'éperlan semblable à celui que l'on trouve dans le Seine. Champlain, vantant la richesse de la faune, signale l'abondance de ce petit poisson dans les pêcheries. En 1611, un jésuite souligne que « l'esplan » en Nouvelle-France est deux ou trois fois plus gros que celui des rivières de France. À Port-Royal, en Acadie, les autochtones avaient l'habitude de pêcher ce petit poisson ressemblant aux «sardines de Rouen», dans les rivières lors du frai au printemps.

Les Premières Nations pêchaient une grande variété de poissons sur le littoral et dans les rivières. Ils utilisaient des lignes, des filets et des palissades sur lesquelles étaient fixées des nasses. Les Mi'kmaq pêchaient l'éperlan à l'aide de nasse, sorte de filets à entrée coulissante. Plusieurs récits témoignent de la pratique de la pêche sous la glace. Champlain, chez les Hurons raconte que les hommes font les rets pour prendre le poisson en été et en hiver et qu'ils prennent le poisson à la ligne ou à la seine sous la glace. Champlain et le père Lejeune (1634) décrivent la méthode de pêche sous la glace. Une grande ouverture puis de plus petits trous à intervalles sont creusés à la hache. À l'aide d'une perche, la corde retenant le filet est passée sous la glace et attachée aux extrémités. Le rets lesté de pierres coule au fond. Pour recueillir le poisson, le filet est tiré par la plus grande ouverture. Les autochtones initièrent les colons à cette méthode de pêche sous la glace. Au 18e siècle, Gédéon de Catalogne et Nicolas Gaspard Boucault décrivent cette pêche pratiquée par les habitants des rives du Saint-Laurent.

Du printemps à l'automne, l'éperlan se capturait dans les pêches à fascine, au filet maillant, à la seine et se pêchait à la ligne. Disponible pendant une longue période et facilement accessible à partir du rivage, l'éperlan servait à l'alimentation humaine, mais également de boëtte (appâts) pour les pêcheurs de morue et d'engrais pour les agriculteurs. À Carleton, les pêcheurs utilisaient une seine mise à l'eau à partir d'un bateau et tirée du rivage par deux hommes manœuvrant des treuils. La senne formait ainsi une poche où l'éperlan restait emprisonné. La pêche se faisait de nuit à marée haute ou montante.

Au 19e siècle, la pêche à la ligne se pratiquait avec des cannes à pêche en bambou munies de plusieurs hameçons. Cette pêche était particulièrement populaire en automne dans la région de Québec. Les journaux de l'époque font toujours mention du début de la pêche et des grandes quantités d'éperlans pêchés à la ligne. Au printemps, lors du frai, l'éperlan était pêché à la salebarde (épuisette), au carrelet et à la nasse dans les estuaires des rivières. L'éperlan était si abondant qu'on disait que l'eau « bouillonnait ». En hiver, l'éperlan était pêché lorsque la glace se formait dans les estuaires des rivières et les barachois. Un simple trou était pratiqué dans la glace dans lequel les pêcheurs tendaient une ligne dormante à plusieurs hameçons. La pêche en hiver fournissait un apport de nourriture fraîche qui manquait souvent pendant cette période.

La pêche commerciale à l'éperlan débuta à la fin du 19e siècle. Le poisson était capturé à l'aide d'une seine ou au filet maillant lorsque les eaux étaient libres de glace ou à l'aide de filets poches sous la glace. Grâce au développement des transports et l'apparition des entrepôts frigorifiques, l'éperlan pouvait être acheminé sur des marchés éloignés.

À la fin des années 1960, la population d'éperlans du Saint-Laurent diminua considérablement. Depuis 2003, la pêche commerciale est interdite dans plusieurs zones marines afin de protéger l'espèce. Des limites de prises sont également imposées pour la pêche récréative.

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Contexte

Hier, pêche de subsistance, la pêche à l'éperlan est aujourd'hui une pêche récréative qui se pratique en toutes saisons. Mais c'est principalement au printemps, lors du frai, en automne et en hiver que la pêche est la plus fructueuse.

Au printemps, il se pêche à l'épuisette ou au carrelet de nuit sur le bord des rivières. La pêche de printemps est interdite dans certaines zones afin de protéger les frayères. En automne, sur les quais, on pêche à la ligne morte à marée montante et de préférence le soir à l'aide d'un fanal. En général, la ligne est munie de trois hameçons à hampe longue et lestée d'une pesée dont le poids dépend de la force du courant. Le meilleur appât est le « ver ou sangsue de mer » (néréide). La ligne est descendue un peu au-dessus du fond marin. Il faut rester attentif puisque l'éperlan ne fait que « titiller » l'appât. Lorsque le pêcheur sent la touche, il ferre le poisson en donnant une secousse à la ligne.

La pêche blanche à l'éperlan se pratique dès que la glace peut supporter le pêcheur et son équipement et se poursuit jusqu'au dégel. L'éperlan se pêche à marée montante et au début du jusant. Les pêcheurs s'installent directement sur la banquise ou à l'abri dans une cabane. Un trou est percé dans la glace à l'aide d'une tarière. On enlève le frasil à l'aide d'une passoire. La pêche se pratique à l'aide de brimbales (lignes à pêche montées sur un mécanisme à bascule), de cannes à pêche courtes ou lorsque l'on pêche dans une cabane, avec des lignes fixes montées sur des supports. Les lignes sont munies de plusieurs hameçons garnis de différents appâts : crevettes, sardines, foie, lard ou lorsqu'on a pêché ses premiers éperlans, du « gau » (ancien terme de pêche utilisé ici pour décrire la chair blanche située entre les branchies, sous la gueule du poisson). Afin d'attirer le poisson, on répand à la surface de l'eau des flocons d'avoine ou du maïs. La ligne est descendue dans le trou, puis on dandine délicatement pour attirer l'attention de l'éperlan.

Dans la Baie-des-Chaleurs, la pêche commerciale d'automne est une pêche embarquée qui se fait aux filets maillants en eau libre. La pêche la plus importante se pratique l'hiver sous la glace. Dans le secteur de Miguasha, la pêche hivernale est traditionnelle et artisanale. Les pêcheurs utilisent des filets-réservoirs (box-net) ou des filets-poches (bag-net). Chaque pêcheur possède les permis pour plusieurs « tentures » (ancien terme désignant un filet).

Le filet-poche comporte une trappe qui reste ouverte et flottante par la force du courant et de la marée. Le filet est installé au large sous la glace à une grande profondeur (12 mètres à marée basse). Une ouverture pour la pêche est pratiquée dans la glace. Des poteaux sont installés à chaque bout de l'ouverture. Sur chacun des pieux, un système de poulies, de bascules (toggles) et de cordes permet de retenir et de retirer le filet. La pêche avec ce type d'engin se fait principalement durant les périodes de fortes marées.

Le filet-réservoir a la forme d'une boîte. Lestée pour la maintenir en place, la boîte repose sur le fond près de la rive à des profondeurs de 2 à 6 mètres. Un guideau (moins de 35 mètres) est tendu perpendiculairement à l'engin pour guider l'éperlan vers l'ouverture. Pour installer l'engin en début de saison, on perce une ouverture dans la glace. Des trous sont percés afin de passer les cordes sous la glace. Ces cordes attachent les 4 coins supérieurs de la boite à des piquets. Pour pêcher, l'ouverture est dégagée du frasil et on relâche les cordes, le filet est ramené sur la glace par l'ouverture et le poisson recueilli. La cueillette du poisson se fait quotidiennement, mais les meilleures pêches se font quelques jours avant et après la pleine lune. Deux pêcheurs prennent de 30 minutes à une heure pour lever une « tenture ». L'éperlan est laissé à geler sur la glace. Cette façon de faire donnerait un goût particulier à l'éperlan.

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Apprentissage et transmission

La pêche récréative à l'éperlan est une tradition bien ancrée dans les régions côtières du Saint-Laurent. Activité sociale, elle se pratique en famille et entre amis depuis plusieurs générations. Du printemps à l'automne, sur les quais et en hiver dans les cabanes de pêche et sur la banquise les pêcheurs se donnent rendez-vous pour pêcher l'éperlan. Les enfants apprennent les techniques de pêche (monter de la ligne, creuser le trou, monter une brimbale, appâter, vider le poisson, etc.) et les connaissances nécessaires à la pêche (marées et meilleurs moments de la journée, appâts, habitat et comportement du poisson) en observant, en imitent et en écoutant les pêcheurs aguerris. Afin de mettre en valeur cette pratique patrimoniale, des organismes organisent des activités de pêche à l'éperlan sur les quais ou sur la banquise.

Les connaissances et les savoir-faire associés à la pêche commerciale d'hiver dans la Baie-des-Chaleurs se transmettent de père en fils. Encore aujourd'hui, à Miguasha, la pêche demeure une affaire de famille : les Wafer, Court, Connors, Parent pratiquent la pêche à l'éperlan depuis plusieurs générations. Les apprentis pêcheurs font leur apprentissage auprès de leurs parents ou de pêcheurs expérimentés. Les permis de pêche sont transmis dans la famille.

Ils sont moins d'une vingtaine de pêcheurs commerciaux en activité à poser leurs « tentures » en hiver dans le secteur de Miguasha. Pour plusieurs, la pêche à l'éperlan demeure un revenu d'appoint. En raison des changements climatiques, la transmission des savoir-faire traditionnels est en déclin. En effet, depuis 10 ans, les glaces tardent à se former mettant en péril cette pêche artisanale.

L'éperlan de Miguasha est renommé pour sa chair délicate et savoureuse. Il est apprêté habituellement en friture, un classique de la cuisine québécoise.

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Références

Notices bibliographiques :

  • BOUCHER, Pierre. Histoire véritable et naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France, vulgairement dite le Canada. Montréal, E. Bastien, 1882. s.p.
  • CARTIER, Jacques. Voyages au Canada. Avec les relations des voyages en Amérique de Gonneville, Verrazano et Roberval. Québec, Septentrion, 1992. 271 p.
  • CHAMPLAIN, Samuel de. Oeuvres de Samuel de Champlain. Montréal, Éditions du Jour, 1973. s.p.
  • Enregistrement avec LABONTÉ, Denis, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'éperlan », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Notre-Dame-du-Portage, 30 septembre 2017.
  • Enregistrement avec LALIBERTÉ, José, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'éperlan », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Saint-Joseph-de-la-Rive, 23 septembre 2017.
  • Enregistrement avec MARTIN, Jean-René, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'éperlan », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Nouvelle, 15 février 2018.
  • MOUSSETTE, Marcel. La pêche sur le Saint-Laurent : répertoire des méthodes et des engins de capture. Montréal, Boréal Express, 1979. 212 p.
  • THWAITES, Reuben Gold. The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and explorations of the Jesuit missionaries in New France, 1610-1791. Cleveland, Burrows Bros. Co., 1896. s.p.
  • Enregistrement avec VANIER VINCENT, Marc, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'éperlan », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Saint-Joseph-de-la-Rive, 23 septembre 2017.
  • Enregistrement avec WAFER, Ryan, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'éperlan », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Nouvelle, 16 février 2018.

Multimédias disponibles en ligne :

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