Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Pêche à l’anguille

Type :

Patrimoine immatériel

Région administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Capitale-Nationale
  • Chaudière-Appalaches

Thématique :

  • Patrimoine maritime et fluvial

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Pratique
  • Savoir-Faire

Classification :

  • Pratiques scientifiques > Connaissance liée à la nature > Faune > Collecte (lieu/moment/rite)
  • Pratiques techniques > Liées aux matières premières > Pratiques d'acquisition > Pêche

Éléments associés

Patrimoine mobilier associé (1)

Patrimoine immatériel associé (1)

Inventaires associés (1)

Description

La pêche à l'anguille se fait le long du fleuve Saint-Laurent principalement au Kamouraska, de Rivière-Ouelle à Saint-André. Les régions du Centre-du-Québec (lac Saint-Pierre), de la Capitale-Nationale (Saint-Augustin-de-Desmaures), de Chaudière-Appalaches (Lévis), de Charlevoix et des Îles-de-la-Madeleine comptent également quelques pêcheurs.

Des pêcheries fixes sont installées sur l'estran perpendiculairement à la rive et de préférence à l'une des extrémités d'une anse ou d'une baie. Celles-ci sont formées d'une aile principale et d'une aile de chasse en filets fixes ou flottants selon la morphologie du terrain. Ces murs de filets formant un V guident le poisson vers deux entonnoirs placés bout à bout et appelés ansillon et bourrole. La course des anguilles se termine dans un coffre jouxtant la bourrole et dont elles ne peuvent sortir. Le pêcheur se rend deux fois par jour à ses engins de pêche à la basse marée et ramasse les anguilles capturées dans ses coffres.

Les anguilles d'Amérique ou anguilles argentées sont des poissons catadromes. Elles naissent en eau salée dans la mer des Sargasses. Elles migrent en eau douce dans des lacs et des rivières affluents du fleuve Saint-Laurent, aussi loin que les Grands Lacs. Elles y vivent de 15 à 20 ans et, matures, elles retournent se reproduire en eau salée à leur lieu de naissance. Lors de leur migration, en septembre et octobre, lorsque la marée est haute et le fleuve agité, les anguilles gagnent les anses et les baies plus calmes. À la marée descendante, elles retournent vers le large. Les meilleures régions pour pratiquer la pêche à l'anguille sont caractérisées par un rivage indenté et un large estran, c'est-à-dire une grande partie du rivage qui se découvre à marée basse. C'est le cas, notamment, en Côte-du-Sud où l'eau du fleuve passe de saumâtre à salée créant une aire d'acclimatation pour les anguilles migrantes et favorisant la pêche.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 
Proposition de statut national Élément du patrimoine immatériel Ministre de la Culture et des Communications 2018-11-15
 

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Historique

Avant l'arrivée des Européens, l'anguille est l'un des poissons les plus abondants dans le Saint-Laurent. Les autochtones gagnent les rives du Saint-Laurent en automne pour faire provision d'anguilles pour l'hiver. Celles-ci sont séchées et fumées pour la conservation. La chair de l'anguille est grasse et riche en protéines. La peau, souple et robuste, sert à la fabrication d'objets usuels et à des fins médicales.

Dans leur mode de vie traditionnel, les autochtones utilisent deux techniques de pêche. L'une est décrite par le père Le Jeune (Relations des Jésuites, 1634). Les Montagnais, appelés maintenant Innus, érigent sur l'estran des murets de pierres perpendiculaires à la rive. L'anguille longe cette barrière à la marée descendante et est prise dans une nasse à l'extrémité du muret.

La nigogue ou fouëne, semblable au harpon, est l'autre technique de plusieurs nations autochtones. Elle est efficace pour divers poissons, dont l'anguille. À la noirceur, un flambeau est placé à l'extrémité d'un canot. Sa lumière attire la proie qui est dardée.

Avant d'arriver sur le continent américain, les Français pêchaient depuis des siècles l'anguille européenne dans leurs fleuves et rivières au moyen de gords. Il s'agit de pieux plantés dans un cours d'eau et créant un parcours obligé se terminant dans un filet. En Nouvelle-France, l'anguille d'Amérique est le mets de subsistance des colons pendant les premiers hivers. Cette pêche domestique au début de la colonie devient vite commerciale.

Des savoir-faire autochtones et européens est issue la pêche à fascines. Cette pêcherie fixe est construite avec des aulnes ou de fines branches de sapin tressées de part et d'autre de piquets fichés sur l'estran. Elle est munie d'une ou plusieurs nasses. L'aile principale d'une pêche à fascine peut mesurer jusqu'à 350 mètres. Sur un sol rocheux, des claies tressées en fascines tenues par des arcs-boutants sont disposées côte à côte et lestées par des pierres. Le pêcheur se rend à pied à marée basse tant pour construire ses pêcheries que pour vider les nasses.

Le droit de pêche est octroyé par concession aux colons français sur le devant de leur terre limitrophe à un cours d'eau. L'anguille se pêche presque partout, en zone de marée du Saint-Laurent.

Les pêcheries sont construites selon les pratiques ancestrales des familles de pêcheurs. Elles sont semblables et différentes à la fois. Les différences sont dictées par la morphologie du sol, les facteurs hydrologiques, les matériaux disponibles et l'ingéniosité des pêcheurs. Les ailes de pêche en fascines sont utilisées jusqu'aux années 1970. Sinon, les matériaux sont mixtes : la base est en fascines et la partie supérieure d'égale longueur est en filets de fibre végétale fixés à des perches de rets. Ces filets sont maillés et ramandés au besoin par le pêcheur et sa famille. Les claies en petites lattes de bois sont observées dans les années 1950. Le treillis de métal est utilisé en amont de Montmagny. Depuis les années 1970, les pêcheurs s'équipent de filets de matière synthétique manufacturés en Asie.

Entre le pont Laviolette et la ville de Saint-Augustin-de-Desmaures, de même qu'au lac Saint-Pierre et aux Îles de la Madeleine, la pêche à l'anguille se pratique principalement au moyen d'un verveux, c'est-à-dire un filet pliant, cylindrique ou conique. L'anguille pêchée est appelée anguille jaune (l'anguille d'Amérique qui est immature). Les Madelinots pêchent également l'anguille jaune sur la glace au moyen d'une fouine ou fouène.

L'industrialisation et la pollution perturbent le milieu naturel. La migration de l'anguille est compromise par les barrages hydro-électriques et leurs turbines, surtout de petite taille. Les statistiques démontrent les fluctuations des prises d'anguilles. L'année 1935 est la plus faste du XXe siècle : 1008 tonnes métriques d'anguilles pêchées. La moyenne des vingt années suivantes est de 350 tonnes métriques.

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Contexte

Les droits de pêche du temps de la colonie deviennent des permis en 1865. Pour détenir un permis de pêche à anguilles, il faut être aide-pêcheur reconnu par le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs et avoir pratiqué la pêche pendant un minimum de deux ans avec un pêcheur accrédité.

La majorité des pêcheurs sont des agriculteurs descendants des premiers arrivants ou de troisième et quatrième génération, propriétaires de terres limitrophes au fleuve ou à proximité. Le pêcheur est porteur d'une tradition. Il connaît son environnement, les marées, le cycle de vie de l'anguille et son comportement favorisant sa prise.

La saison de la pêche à l'anguille est un moment d'effervescence au sein des communautés où elle se pratique. Des événements de dégustation et des visites de la pêche sont récurrents d'un automne à l'autre. Des municipalités et des musées mettent en valeur la pratique de la pêche à l'anguille présente dans leur région.

Le pêcheur débute la construction de sa pêche vers la fin avril. Il y travaille au rythme des basses marées. Les coffres, bourroles et ansillons, ainsi que les filets de nylon, les pieux et les perches de rets intacts sont réutilisés. Une pêche compte en moyenne mille piquets de 2 m en épinette noire. Les perches de rets de 3,5 m en érable ou en ostryer sont fichées à tous les deux piquets pour rehausser la pêche. Environ 300 perches de rets cassent annuellement. De nouvelles sont taillées par le pêcheur qui souvent a accès à un lot à bois.

Les étapes d'érection d'une pêcherie se font dans l'ordre suivant : installer les poteaux, piquets et perches; placer du sapinage au pied des ailes pour empêcher l'anguille de passer en dessous; placer les ansillons, bourroles et coffres; attacher les filets du bas aux piquets; attacher des filets du haut aux perches de rets dans le cas des filets fixes. Les filets flottants, introduits en 1974, ne sont fixés qu'à leurs extrémités à de hauts poteaux haubanés. Des bouées sont fixées au haut de ces filets qui se déploient à marée haute. Ils sont moins fastidieux à installer, mais ne conviennent pas aux estrans où s'accumulent du varech, de la vase et des débris flottés.

Le coffre est conçu pour résister au courant et à la pression de son contenu. Il est cintré de pièces de bois. L'ansillon et la bourrole ont une forme d'entonnoir. L'ouverture large de l'ansillon (1,2 m de long) touche le sol. L'ansillon s'imbrique dans la bourrole (0,5 m), laquelle entre dans la façade du coffre d'où l'anguille ne peut sortir, car un bout de tissu en obstrue la seule issue.

Le travail de construction se fait surtout avec la famille immédiate. Tout le matériel des pêcheries est retiré de l'estran vers le début novembre. Il est réparé et entreposé. Souvent, des aides sont employées pour agir le plus rapidement possible, avant les premiers frasils.

Durant la période de pêche, les coffres sont vidés deux fois par jour à la marée basse. Le pêcheur embarque dans les coffres pour saisir les anguilles avec ses mains ou les puiser avec la saillebarde. Auparavant, les pêcheurs utilisaient des pinces forgées pour sortir les anguilles du coffre. Le poisson est maintenant vendu vivant, tout ce qui pourrait le blesser est évité. Les engins de pêche sont vérifiés et les bris réparés immédiatement. Les anguilles sont déposées dans une remorque tirée par le tracteur de ferme. Elles sont transportées jusqu'à l'un des bâtiments où elles sont rincées pour être débarrassées du varech, du sable et de leur surplus de mucus. Elles sont pesées et déposées dans des viviers d'eau oxygénée, légèrement salée et à température contrôlée.

La majorité des prises d'anguilles était exportée jusqu'en 1974. Des déversements de produits chimiques ont mis un terme à cette exportation. Les pêcheurs sont devenus les promoteurs de l'anguille destinée à la consommation commerciale et domestique à travers le Canada. Quelques-uns font eux-mêmes la transformation de l'anguille.

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Apprentissage et transmission

L'apprentissage de la pêche à l'anguille se fait sur le terrain, par l'oralité et l'observation, de génération en génération et généralement au sein d'une même famille. Aucun enseignement propre à cette pêche ne se donne dans une école de métiers ou par toute autre forme de cours.

Le profil type du pêcheur est celui du fils qui a repris la ferme familiale et est l'aide-pêcheur de son père depuis plusieurs années. Le permis de pêche lui est cédé ou vendu avec la ferme. Il bénéficie des savoirs, savoir-faire et archives de pêche de ses ascendants pour le site qu'il exploite. Son permis de pêche commerciale spécifie, entre autres, la longueur de la pêche. Dans certains cas, l'agent de protection de la faune fixe une distance à respecter entre les engins de pêche. Le pêcheur doit remettre à l'eau les anguilles de moins de 20 cm.

L'Association des pêcheurs d'anguilles du Québec est fondée en octobre 1970 et regroupe à cette époque 262 pêcheurs commerciaux; soit les deux tiers du nombre de permis émis pour cette pêche dans les eaux intérieures de la province. Elle représente les pêcheurs et défend leurs droits. Avec les pêcheurs et le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, elle veille sur la ressource en participant à des études et opérations scientifiques.

En 2008-2009, une mesure de rachat volontaire des permis de pêche à l'anguille pour la protection de l'espèce a été prise. Des producteurs d'électricité ont financé ce programme. Ce serait 75% des pêcheurs d'anguilles qui ont choisi de se retirer. Les pêcheurs actuels sont entre autres ceux qui avaient les meilleurs débarquements et qui ne se voyaient pas mettre un terme à une tradition familiale et régionale.

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Emplacement

Region administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Capitale-Nationale
  • Chaudière-Appalaches

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Références

Notices bibliographiques :

  • Enregistrement avec BEAULIEU, Simon et Josée MALENFANT, réalisé par DOUVILLE, Judith, « La pêche à l'anguille », Musée de la mémoire vivante (dir.), Rivière-Ouelle, 23 janvier 2016.
  • BERGERON, Julien, Germain LABRECQUE et Jean-Marie ROY. « Inventaire et description des pêcheries fixes de l'estuaire du Saint-Laurent ». MINISTÈRE DE L'INDUSTRIE ET DU COMMERCE, Direction des pêches maritimes. Cahier d'information. Québec, 1977, p. 41.
  • BOUCHER, Pierre. Histoire véritable et naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France, vulgairement dite le Canada (texte établi en français moderne par Pierre Benoit). Québec, Septentrion, 2014. 240 p.
  • CARON, Adrien. « La mission du Père Le Jeune, s.j., sur la Côte-du-Sud, 1633-1634 ». Revue d'histoire de l'Amérique française. Vol. 17, no 3 (1963), p. 371-395.
  • DOUVILLE, Judith. « La pêche à l'anguille sur la Côte-du-Sud ». Gouvernement du Canada, ministère du Patrimoine canadien. Musée virtuel du Canada [En ligne]. http://www.museevirtuel.ca/virtual-exhibits/exhibit/la-peche-a-languille-sur-la-cote-du-sud/
  • Enregistrement avec LABRECQUE, Rodrigue, réalisé par DOUVILLE, Judith, « La pêche à l'anguille », Musée de la mémoire vivante (dir.), Saint-Jean-Port-Joli, 6 mars 2017.
  • Enregistrement avec LACHANCE, Anselme, réalisé par DOUVILLE, Judith, « La pêche à l'esturgeon et à l'anguille », Musée de la mémoire vivante (dir.), Montmagny, 16 juin 2011.
  • LAMBERT, Michel. Histoire de la cuisine familiale. Vol. 1 - ses origines autochtones et européennes. Québec, Les Éditions GID, 2006. 502 p.
  • LAMBERT, Michel. Histoire de la cuisine familiale du Québec. Vol. 2 - la mer, ses régions et ses produits. Québec, Les Éditions GID, 2006. 912 p.
  • Enregistrement avec LIZOTTE, George-Henri, réalisé par DOUVILLE, Judith, « La pêche à l'anguille », Musée de la mémoire vivante (dir.), Rivière-Ouelle, 16 novembre 2016.
  • MARTIN, Roger. L'anguille. Ottawa, Leméac, 1980. 194 p.
  • MOUSSETTE, Marcel. La pêche sur le Saint-Laurent : répertoire des méthodes et des engins de capture. Montréal, Boréal Express, 1979. 212 p.
  • Enregistrement avec OUELLET, Maurice, réalisé par DOUVILLE, Judith, « La pêche à l'esturgeon et à l'anguille », Musée de la mémoire vivante (dir.), Kamouraska, 13 décembre 2011.
  • SAGARD, Gabriel. Le grand voyage au pays des Hurons. Montréal, Hurtubise HMH, 1976. 268 p.
  • Enregistrement avec VERREAULT, Guy, réalisé par DOUVILLE, Judith, « La pêche à l'anguille », Musée de la mémoire vivante (dir.), Rivière-du-Loup, 28 novembre 2016.

Multimédias disponibles en ligne :

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