Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Chasse à la baleine

Type :

Patrimoine immatériel

Région administrative :

  • Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine

Thématique :

  • Patrimoine maritime et fluvial

Vitalité :

  • Mémoire

Type d'élément :

  • Savoir-Faire

Classification :

  • Pratiques techniques > Liées aux matières premières > Pratiques d'acquisition > Pêche

Éléments associés

Patrimoine mobilier associé (2)

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Description

Introduite vers 1804 par les loyalistes établis dans la baie de Gaspé après la Révolution américaine (1775-1783), la chasse à la baleine joue un rôle de premier plan dans l'économie régionale et même à l'échelle canadienne pendant près d'un siècle. Gaspé et Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, sont les deux seuls ports du pays à disposer d'une flotte totale d'une douzaine de goélettes baleinières en 1846. Mais, rien à voir avec la flotte américaine qui compte alors 635 navires baleiniers traquant les cétacés sur les mers du monde. Par contre, Gaspé s'impose comme le premier port canadien avec une flotte de sept goélettes lesquelles fournissent en huile de baleine 80 % de la demande du pays.

À Gaspé, la chasse à la baleine est une affaire de familles. Originaires de Nantucket et de New Bedford, principaux centres baleiniers de la côte est américaine, les Coffin et les Boyle seraient les premières familles à perpétuer la pratique de la chasse baleinière à Gaspé. La tradition orale attribue à la famille Coffin, installée à l'Anse-aux-Cousins, le rôle de précurseur du métier de baleinier. Toutefois, la famille Boyle se révèle avoir un pas d'avance sur la production d'huile. En 1809, le capitaine baleinier Boyle produit 90 % des huiles locales.

Durant les années les plus fructueuses de 1855 à 1860, l'activité baleinière fait vivre entre 150 et 200 personnes anglophones incluant les baleiniers et les employés à la transformation de la graisse en huile. Elle insuffle un nouveau dynamisme dans le développement local sous diverses formes : construction navale, équipements des baleiniers, avitaillement des goélettes et tonnellerie. Toujours dans ces bonnes années, la production d'huile dépasse les 50 000 gallons (2273 hl).

Tout est bon dans la baleine. On en tire une quantité de produits d'usage quotidien. L'huile est utilisée pour l'éclairage, le tannage du cuir, la fabrication de savon et le calfatage des navires. Les fanons, grâce à leur élasticité, servent à la fabrication des « baleines » de parapluie ainsi que des corsets. La viande entre aussi dans l'alimentation des familles des baleiniers.

Après avoir atteint son pic de croissance, l'activité baleinière commence à baisser inexorablement au rythme de la disparition des cétacés. Les chasseurs de Gaspé affrontent la concurrence des baleiniers américains armés de nouvelles techniques de capture comme le fusil à fusée utilisé dans le golfe Saint-Laurent depuis 1855. Dix ans plus tard, les baleiniers de la Nouvelle-Écosse portent le coup fatal aux goélettes baleinières de bois en les supplantant par les baleiniers à vapeur. Le capitaine Joseph Tripp entreprend sur sa petite goélette baleinière de bois l'Admiration, jaugeant 45 tonneaux, sa dernière expédition correspondant en fait à l'ultime chasse des baleiniers de Gaspé dans le golfe du Saint-Laurent et le détroit de Belle-Isle en 1893.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

Les Basques sont considérés comme les précurseurs de la chasse à baleine sur les côtes nord-américaines. Situé de part et d'autre de la frontière franco-espagnole, le Pays basque borde le littoral du golfe de Gascogne. Son territoire restreint, entre mer et montagne, pousse les jeunes gens à se tourner vers la mer. Ils sont navigateurs, pêcheurs de morue, chasseurs de baleine ou exercent les trois métiers tour à tour. La pêche représente le véritable pilier économique du Pays basque et contribuera à forger une solide réputation aux pêcheurs et baleiniers basques.

Dès le 9e siècle, les chasseurs basques capturent des baleines noires (baleines franches) faciles à repérer depuis les côtes gasconnes. Ils maitrisent la méthode de chasse au harpon à partir de petites embarcations. Quand les baleines se raréfient dans le golfe de Gascogne, ils s'aventurent en haute mer et se lancent à la poursuite des baleines de plus en plus loin.

Durant la première moitié du 16e siècle, bien avant la première expédition de Jacques Cartier en Amérique du Nord en 1534, les baleiniers basques, navigateurs aguerris, traversent l'Atlantique et fréquentent la côte du Labrador ainsi que les eaux du golfe et de l'estuaire du Saint-Laurent. Pendant son périple, Cartier fait la rencontre de pêcheurs basques dans le détroit de Belle-Isle entre l'île de Terre-Neuve et la péninsule du Labrador.

Au fil du temps, une véritable industrie se développe le long des côtes du Labrador. Quelque 1000 marins, surtout des Basques, y traquent la baleine boréale et la baleine franche au milieu du 16e siècle. Ces espèces offrent l'avantage de se déplacer lentement et de flotter à la surface de l'eau une fois abattues, étant peu compactes, car riches en lard. Un chapelet de stations baleinières voit le jour sur la côte labradorienne pour fondre et mettre en barrique l'huile de baleine. Le site archéologique de Red Bay est un témoin exceptionnel de la période faste des baleiniers basques entre 1560 et 1570. Les chasseurs basques suivent aussi les baleines dans leur remontée du fleuve Saint-Laurent. Leur présence est attestée dans l'estuaire, au temps de Champlain, à l'île aux Basques, aux Bergeronnes et à Tadoussac, où ils pratiquent aussi la pêche à la morue. On y a découvert des fours de pierre et des tuiles rouges, de fabrication basque, servant de toiture pour protéger les fours ou les abris de ces saisonniers. Chaque automne, les chasseurs quittent leurs installations rudimentaires pour rentrer aux ports basques.

La réputation des marins basques, experts dans la chasse à la baleine, se répand jusqu'à Québec. L'entrepreneur Denis Riverin multiplie les tentatives pour installer un poste de chasse de la baleine en Gaspésie à la fin des années 1680. Il choisit d'abord Gaspé, mais le roi Louis XIV lui préfère les pêcheurs de la côte française pour ce secteur. Il opte alors pour Mont-Louis et obtient satisfaction avec l'envoi de sept à huit harponneurs basques pour initier ses hommes au métier de baleinier. Le groupe basque arrive au pays, mais le projet d'industrie baleinière tombe à l'eau compte tenu de la situation politique très tendue.

Entre 1730 et les années 1750, les Basques sont de retour dans l'estuaire du Saint-Laurent après plus d'un siècle d'interruption et fréquenteront le secteur du Saguenay à plusieurs reprises. Puis, les activités de chasse à la baleine semblent abandonnées dans le fleuve et le golfe du Saint-Laurent jusqu'à l'installation de familles loyalistes dans la baie de Gaspé à la suite de la guerre d'Inde´pendance ame´ricaine (1775-1783). En 1804, les familles Coffin et Boyle lancent leur propre entreprise de chasse à la baleine. D'autres familles suivront leur sillage et pratiqueront le rude métier de chasseur de baleine.

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Contexte

La saison de chasse à la baleine dure du mois de juin jusqu'à la fin de septembre. Au cours de saisons favorables, au milieu du 19e siècle, une dizaine de goélettes baleinières au maximum quittent le port de Gaspé. Si la chance leur sourit, ils repèrent les cétacés proches de la baie de Gaspé. Après la capture d'une baleine, ils peuvent la tirer sur l'une des quatre plages de la baie, assignée au capitaine de l'équipage, pour effectuer le dépeçage : Penouille, pointe Panard, anse aux Cousins et Cap-aux-Os.

Habituellement, les goélettes baleinières parcourent le golfe Saint-Laurent jusqu'à Mingan et longent la côte du Labrador ou le détroit de Belle-Isle. Les baleiniers de Gaspé chassent quatre espèces de baleine. Ils ont une préférence pour la baleine noire, une proie facile à capturer, et sa grande réserve de gras la rend très rentable. Mais, ils ne sont pas les seuls à la pourchasser. Surexploitée, la baleine noire périclite du golfe Saint-Laurent au milieu des années 1850. Les chasseurs de Gaspé changent alors de cible et privilégient le rorqual à bosse à partir des années 1860. Ils capturent aussi des baleines bleues, le plus gros mammifère du monde, et des rorquals communs; la poursuite de ces baleines aux déplacements rapides s'avère extrêmement dangereuse.

Les goélettes baleinières varient de dimensions d'un propriétaire à l'autre. En 1859, la plus imposante le John Stewart, propriété du capitaine Charles Stewart, jauge 76 tonneaux. Équipées de deux chaloupes de chasse ou baleinières, les goélettes transportent un équipage d'une quinzaine d'hommes. Les baleinières, pointues aux deux extrémités, font quelque 6 m de long.

Quand la vigie repère une baleine, les chasseurs lancent leurs baleinières à la mer. Six hommes y prennent place, selon l'historien Mario Mimeault, quatre rameurs, un barreur et un harponneur. Pendant que l'équipe de rameurs et le harponneur rament vigoureusement, le barreur dirige l'embarcation à l'aide du gouvernail vers la baleine. Quand la baleinière est suffisamment près de la proie, le harponneur à l'avant lance à bout de bras, puissamment, son harpon pour l'atteindre. Le harpon, attaché à une ligne de 400 m de long bien enroulée dans une cuve circulaire près du barreur à l'arrière, relie la baleinière à la baleine.

Baleine ferrée ne veut pas dire baleine mise à bord instantanément. Libre au bout du fil, mais blessée, elle se livre à une course sous-marine épuisante émergeant fréquemment pour expulser son souffle. Quand elle donne enfin des signes de faiblesse, la ligne est raccourcie pour approcher la baleinière de l'animal et le barreur l'abat à coups de lance. Une fois la baleine morte, les chasseurs la tirent jusqu'à la baleinière où a lieu le dépeçage et ils font fondre le lard pour en extraire l'huile.

À la fin de la saison 1893, les baleiniers de Gaspé finissent par déposer leurs harpons. Plusieurs facteurs mènent à la fin de l'activité baleinière à Gaspé. Les baleiniers américains faisant la chasse dans le golfe du Saint-Laurent introduisent de nouvelles techniques plus destructrices. Puis, la mise en marché de l'huile de charbon et le kérosène remplacent peu à peu l'huile de baleine dans les années 1860. Enfin, vers 1866, l'arrivée des baleiniers à vapeur modernes et plus performants va augmenter la concurrence et anéantir les troupeaux de baleines.

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Apprentissage et transmission

L'activité baleinière dans la baie de Gaspé, circonscrite dans le temps, est demeurée artisanale. Entre l'arrivée des familles loyalistes qui ont jeté les bases de la chasse à la baleine, favorisé son développement et assisté à sa disparition, il s'est écoulé près d'un siècle. Les baleiniers de Gaspé ont fait et refait les mêmes gestes que leurs ancêtres américains, chasseurs de baleine de Nantucket et de New Bedford, qui eux avaient appris des chasseurs basques.

Les baleiniers de Gaspé ont laissé des traces de leur présence sur les rives de la baie de Gaspé. La toponymie locale en témoigne, avec des noms intimement liés à l'activité baleinière. La désignation de l'anse aux Cousins, l'un des principaux lieux de transformation de la graisse de baleine, rappelle les premières familles loyalistes, Annett et Coffin, à s'établir à Gaspé. Le nom de Farewell Cove évoque l'anse où les habitants se rassemblaient pour dire au revoir aux chasseurs de baleine prêts à partir pour leur expédition saisonnière. À l'été 2019, un panneau portant l'inscription « Farewell Cove » a été inauguré pour mettre en valeur l'histoire de ce lieu. Le toponyme « Cap-aux-Os » viendrait des nombreux ossements de baleine trouvés sur la plage, vestiges du dépeçage des baleines

Des recherches archéologiques ont confirmé la présence d'une station baleinière sur la presqu'île de Penouille. En 1911, Frederick James Richmond a dressé un plan de ces installations nécessaires à la fonte de la graisse. Puis, dans les années 1970, les archéologues de Parcs Canada ont fait des fouilles dans le même secteur et les vestiges mis au jour ont corroboré la conclusion initiale.

Chasser la baleine était un métier à risques. Les récits des baleiniers de Gaspé racontant leurs exploits se sont transmis dans leurs familles de génération en génération. La tradition de la chasse à la baleine s'est renouvelée dans la baie de Gaspé, c'est le regard qui harponne la baleine.

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