Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Fumage du poisson

Type :

Patrimoine immatériel

Autre(s) nom(s) :

  • Boucanage du poisson

Région administrative :

  • Bas-Saint-Laurent

Thématique :

  • Patrimoine maritime et fluvial

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Savoir-Faire

Éléments associés

Inventaires associés (1)

Description

Le fumage ou boucanage est une technique traditionnelle de conservation des denrées alimentaires. Cette technique est pratiquée partout au Québec pour la conservation des poissons d'eau douce et de mer. La chair du poisson est soumise à la fumée issue de la combustion de bois ; sous l'action de la chaleur et de la fumée, la chair perd une partie de son eau et s'imprègne des composantes antiseptiques de la fumée. Avec le séchage et le salage, le fumage est un des procédés les plus anciens de conservation du poisson.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

Les Premières Nations conservaient les produits de la pêche et de la chasse grâce à la méthode du boucanage. Jacques Cartier (1534-1535) raconte que les Autochtones mettent le poisson et la viande à sécher à la fumée et qu'ils conservent ces denrées dans de larges récipients comme provisions pour l'hiver. Le récollet Sagard, chez les Hurons (1632), décrit la méthode du boucanage : les poissons sont vidés et ouverts comme les morues et étendus au soleil sur des râteliers de perches. Par temps pluvieux et humide, on les fait boucaner sur des claies ou des perches. Les autochtones n'utilisaient pas le sel, le soleil et la fumée se conjuguant pour déshydrater le poisson. Le poisson boucané était utilisé dans la sagamité (bouillie de maïs et de poisson, viande ou fruits).

Plusieurs espèces de poissons étaient fumées, entre autres la truite, l'esturgeon, le saumon et l'anguille. Le jésuite Le Jeune (1633) précise que ce sont les femmes qui préparaient le poisson et décrit la technique le fumage de l'anguille : « Elles vident ce poisson, le lavent fort bien, l'ouvrant non par le ventre, mais par le dos, puis le pendent à la fumée, l'ayant fait au préalable égoutter sur des perches hors de leurs cabanes. Elles le tailladent en plusieurs endroits afin que la fumée le dessèche plus aisément. La quantité d'anguilles qu'ils prennent en ce temps là est incroyable : je ne vois autre chose dedans et dehors leurs cabanes. »

La technique de fumage était connue des Européens. Dès le Moyen-âge, les régions littorales faisaient commerce du hareng saur : le hareng d'abord salé était légèrement fumé. Pour les premiers habitants de la Nouvelle-France, le simple boucanage (sans sel) des poissons et de viandes ne faisait pas partie de leur culture alimentaire.

La conservation par le sel demeure la méthode la plus usitée chez l'habitant de la Nouvelle-France. Le père Barthélemy Vimont (1643) raconte qu'à Sillery, de septembre à octobre l'anguille est abondante : «Les François la salent, les Sauvages la boucanent ; les uns et les autres en font provision pour l'hiver.» Décrivant les différences de goût entre les colons et les Autochtones, le jésuite Jean De Quen (1658) dit que malgré tout : « …la communication des uns avec les autres, fait que le palais de quelques Français s'accommodent au boucan, et celui de quelques Sauvages aux viandes salées. »

Si la salaison demeure la méthode privilégiée, peu à peu le fumage domestique devint un procédé simple de conservation des denrées. Cette technique ne nécessitait aucun matériel particulier et pouvait se pratiquer partout sur le territoire. La technique du boucanage s'intègrera peu à peu aux pratiques alimentaires des habitants. En 1738, dans son récit de voyage, Claude Le Beau raconte que les habitants des côtes le long du fleuve Saint-Laurent font « boucaner» les anguilles pour l'hiver.

Au 19e siècle, le poisson fumé ne fait pas l'objet d'un commerce important, le fumage demeure une technique de conservation marginale et la production est vendue sur le marché local. À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, des fumoirs commerciaux font leur apparition au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine. Le saumon fumé est exporté en Europe, le hareng fumé aux Antilles.

Autrefois, méthode de conservation, le fumage aujourd'hui est surtout employé pour aromatiser et donner ce goût particulier au poisson. Le saumon, l'anguille, l'esturgeon, la truite sont les produits fumés les plus populaires, mais on fume également plusieurs autres espèces de poisson et de crustacés.

Technique ancienne, la méthode du fumage pratiquée au Québec est le fruit d'un métissage des techniques héritées des Autochtones et des Européens.

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Contexte

La technique du fumage traditionnel du poisson repose sur les savoir-faire et les connaissances de l'artisan-fumeur. S'il y a des étapes à respecter, chaque artisan a sa méthode, ses tours de main et ses secrets.

Le poisson est d'abord salé et ensuite exposé à la fumée produite par la combustion lente du bois. Le processus déshydrate le poisson et l'imprègne des composantes de la fumée. Les effets conjugués des qualités antiseptiques de la fumée et de la déshydratation colorent, aromatisent, modifient la texture du poisson et ralentit le développement microbien.

Le poisson peut être mis à fumer «rond», c'est-à-dire entier, ou éviscéré et étêté pour ensuite être fileté, fendu en long ou coupé en morceaux plus ou moins gros. Le fumage traditionnel du hareng utilise le poisson entier. L'esturgeon, le saumon, le maquereau, l'anguille, la truite sont éviscérés et étêtés. Ils sont ensuite filetés ou coupé en morceaux. La deuxième étape est la salaison : on utilisera soit le saumurage qui consiste à immerger le poisson dans une préparation composée de sel et d'eau ou le salage à sec. La durée de la salaison varie selon l'espèce (poissons maigres ou gras), le type de découpe et l'expérience de l'artisan.

Le poisson salé est égoutté et mis à sécher à l'air pendant une courte période. Si la texture de la chair est dense et les morceaux épais, des incisions sont pratiquées dans la chair. Les morceaux ou filets sont ensuite badigeonnés d'une «marinade» dont le secret est bien gardé. La marinade liquide ou à sec peut être composée d'aromates, d'un agent sucrant et parfois d'alcool ; lors du fumage, la marinade rehaussera le goût du poisson.

Le fumage peut se faire à froid (température de la fumée à moins de 30 degrés Celsius, temps plus long de fumage) ou à chaud (temps de fumage plus court). Le poisson fumé à chaud est non seulement fumé, mais également cuit. Dans ses 3 fumoirs, Colette Caron fume le poisson à chaud selon la méthode traditionnelle. Ses fumoirs artisanaux en acier sont munis d'un foyer, producteur de fumée et de chaleur, et d'une conduite de jonction qui fait circuler la fumée. La conduite débouche sur un four muni d'une cheminée. Selon l'espèce à fumer, la conduite de jonction sera plus ou moins longue. L'esturgeon, poisson à chair dense, est fumé dans le fumoir à conduite courte où la chaleur est plus intense. Le saumon et le maquereau dont la chair est floconneuse dans le fumoir à conduite courte. L'érable a remplacé les résineux autrefois utilisés pour fumer. Après avoir allumé le feu, elle dispose le poisson sur des grilles dans le four.

Aujourd'hui, le fumage du poisson s'effectue en général dans des fumoirs électriques ou à gaz ou la température et la durée de fumage peuvent être préréglées. Colette Caron utilise des fumoirs artisanaux faits sur mesure. Le contrôle de la chaleur et de la fumée se fait au jugé au toucher et par l'odeur. Il faut surveiller constamment le feu afin que la chaleur et la fumée restent constantes. La durée du fumage est variable ; selon la température extérieure, l'humidité ambiante, la vitesse des vents et la pression atmosphérique. Ces connaissances empiriques du milieu environnant se sont construites et transmises au fil des générations. Il faut donc adapter sa pratique quotidiennement. Par exemple, le fumage du saumon prend de deux à trois heures si les conditions sont favorables et jusqu'à dix heures si le temps est humide.

Au cours du fumage, la cuisson est vérifiée régulièrement. Les poissons sont déplacés dans le fumoir puisque la chaleur et la fumée ne sont pas réparties également dans le four. C'est au toucher et à la couleur du poisson qu'on détermine la fin du fumage. Autrefois, le fumage servait principalement à sécher le poisson par déshydratation pour le conserver sur une longue période. Aujourd'hui, le poisson fumé est un produit du terroir recherché pour ses qualités gustatives.

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Apprentissage et transmission

Le fumage artisanal du poisson témoigne d'un ensemble de connaissances et de savoir-faire transmis de génération en génération au sein des familles. Les connaissances et savoir-faire sont le fruit d'observations, d'expériences et sur une accumulation de données sur une longue période. Ces savoirs empiriques et écologiques sont transmis par la tradition orale. L'apprentissage est informel : les savoir-faire et tours de main sont transmis lors de l'exécution de la tâche par observation, imitation et démonstration.

Bien que les outils de travail et les fumoirs traditionnels aient été modifiés pour répondre aux normes sanitaires, les techniques du fumage ont peu changées. C'est la maîtrise des techniques du fumage qui assurera la qualité du poisson. Le savoir-faire et les connaissances du fumeur restent, seuls, maîtres du résultat.

Encore aujourd'hui, plusieurs fumeurs ont fait leur apprentissage au sein de la famille. Dans la famille Caron de l'Île Verte, le fumage du poisson se pratique depuis plusieurs générations. Colette Caron a fait son apprentissage du fumage traditionnel auprès de son père Vital, pêcheur et propriétaire d'une boucanerie. Colette se souvient qu'à ses débuts, son père lui demandait de surveiller le fumoir.

Sur l'Île Verte, la plupart des fermes comptaient un fumoir et une saline pour le hareng. Si la pêche était surtout le travail des hommes, les enfants étaient mis à contribution, car le fumage était l'affaire de toute la famille pour placer le poisson en saumure, l'embrocher sur les baguettes, les suspendre sur les baratins, entretenir et surveiller les feux, les décrocher et les attacher en paquets. Avec le déclin du hareng, les pêches à fascines sont peu à disparues du paysage de l'île. Le père de Colette, Vital Caron, cesse la pêche à la fin des années 1990, mais continue le fumage du poisson. Guidée par son père, elle apprend à maîtriser les techniques du fumage et reprend l'entreprise familiale.

Le fumage du poisson est une pratique traditionnelle bien ancrée sur le territoire québécois et le poisson fumé fait partie de notre patrimoine culinaire. Cette tradition se perpétue grâce aux savoir-faire des fumeurs.

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Références

Notices bibliographiques :

  • Enregistrement avec CARON, Colette, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « Fumage du poisson », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Île Verte, 7 juillet 2017.
  • CARTIER, Jacques. Voyages de découvertes entre les années 1534 et 1542. Textes et documents retrouvés. Paris, Antropos, 1968. 206 p.
  • GINGRAS, Charlotte. Les boucaneries : les fumoirs traditionnels de l'île Verte et les activités reliées au fumage du poisson. Regroupement pour la perrenité de l'île Verte, 2016. 83 p.
  • LE BEAU, Claude. Avantures du sieur Claude Le Beau, avocat en parlement. Voyage curieux et nouveau parmi les Sauvages de l'Amérique septentrionale (1738), édition critique établie par Andréanne Vallée. Québec, Presses de l'Université Laval, 2011. 645 p.
  • SAGARD, Gabriel. Le grand voyage au pays des Hurons. Montréal, Hurtubise HMH, 1976. 268 p.
  • s.a. Relations des Jésuites : contenant ce qui s'est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France. Vol. I à VI. Montréal, Éditions du Jour, 1972. s.p.

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