Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Pêche à l'esturgeon noir du Saint-Laurent

Type :

Patrimoine immatériel

Région administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Chaudière-Appalaches

Thématique :

  • Patrimoine maritime et fluvial

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Savoir-Faire

Classification :

  • Pratiques scientifiques > Connaissance liée à la nature > Faune > Collecte (lieu/moment/rite)
  • Pratiques techniques > Liées aux matières premières > Pratiques d'acquisition > Pêche

Éléments associés

Inventaires associés (1)

Description

La pêche commerciale à l'esturgeon noir est une pêche côtière traditionnelle. Elle se pratique au filet maillant en embarcation ou à gué du printemps au début de l'automne, selon les zones de pêche, dans l'estuaire moyen du fleuve Saint-Laurent. L'espèce est pêchée principalement entre les localités comprises entre Berthier-sur-Mer et L'Isle-Verte. L'apprentissage et la transmission des techniques de pêche et des connaissances reliées à la pêche à l'esturgeon s'effectuent dans le milieu familial depuis plusieurs générations.

L'esturgeon noir est un poisson anadrome de grande taille qui vit et se développe en eau saumâtre et salée, mais qui se reproduit en eau douce. La pêche commerciale à l'esturgeon noir dans le Saint-Laurent est la dernière à subsister en Amérique du Nord.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

Les sites archéologiques et la tradition orale révèlent la présence et l'importance de l'esturgeon dans l'alimentation des Premières Nations bien avant l'arrivée des Européens. L'abondance de l'espèce, sa facilité de capture, sa grande taille, sa chair huileuse qui se prêtait bien au séchage et au fumage en faisaient une denrée appréciée. Un mois lunaire portait son nom, le mois d'août, et des rituels étaient exécutés pour s'assurer une bonne pêche. Chez les Algonquins, on le servait au festin de noces.

Lescarbot décrit en 1609 une technique utilisée par les Mi'kmaq pour capturer le saumon ou l'esturgeon : à l'entrée d'une rivière, dans une zone à marée, un barrage fait de pieux et de branchage était érigé. Au jusant, le poisson restait emprisonné. Selon Nicolas Denys, colon et entrepreneur installé en Acadie vers 1632, les Mi'kmaq le pêchaient au flambeau et le capturaient au harpon. Il est également capturé au dard, au filet ou à la ligne selon Louis Nicolas, missionnaire jésuite (1664-1675). Les oeufs d'esturgeon sont consommés et son huile est utilisée pour l'éclairage et pour préparer les peaux. De son estomac, on fait une colle servant à garnir les dards. L'esturgeon était également pêché aux filets l'hiver selon Lahontan (1683-1693). Dans son Traité des pesches (1769), Duhamel du Monceau souligne que l'esturgeon du Saint-Laurent est également pêché aux filets et au dard ou harpon.

La pêche, accessible en toutes saisons, offrait une ressource alimentaire de première importance aux premiers colons. Les contrats de concessions le long du fleuve Saint-Laurent donnent en général le droit de pêche aux habitants sur et devant leurs terres. Des pêches fixes sont installées sur les battures du Saint-Laurent ou sur les rivières. De mai à octobre, on y pêche différentes espèces, dont l'esturgeon.

En 1603, Champlain notait qu'on pourrait en « faire un grand commerce ». Dès le 17e siècle, l'esturgeon est un des poissons les plus consommés. Pierre Boucher, gouverneur de Trois-Rivières mentionne en 1664 qu'il est « parfaitement bon salé et se garde bien longtemps ». Dans les Relations des Jésuites, on rapporte que l'intendant Jean Talon met en usage en 1667 des pêches de différentes espèces, dont l'esturgeon, pour l'exportation vers la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Même si cette initiative ne donne pas les résultats escomptés, l'esturgeon est vendu frais, salé ou boucané sur les marchés locaux.

À l'île d'Orléans, jusqu'au début du 20e siècle, l'esturgeon était pêché à la senne simple soit à gué soit en chaloupe. Sur la Côte-du-Sud, jusqu'au milieu du 20e siècle, il était capturé dans les pêches à fascine, à gué au filet maillant ou au large des côtes en chaloupe. La pêche à l'esturgeon sous la glace à l'aide de filets était également pratiquée avant l'ouverture de la voie maritime jusqu'aux années 1950 entre Portneuf et Montmagny.

Jusqu'aux années 1960, la pêche est abondante. Dans la région de Montmagny, une conserverie d'esturgeons avait été installée dans les années 1940. Les pêcheurs débarquaient de 25 à 45 tonnes d'esturgeon par année. En plus de desservir le marché local, l'esturgeon était exporté sur le marché américain. À la suite de la dégradation de son habitat et de la surpêche, les captures cessèrent de 1967 à 1975, puis reprirent graduellement en 1976. Pendant cette période, la plupart des pêches à fascine disparurent des rives du Saint-Laurent, la pêche à l'esturgeon se faisant principalement aux filets. Cependant, alors que la pêche aux filets se pratiquait près des côtes et nécessitait peu de matériel spécialisé, à partir des années 1980, les pêcheurs explorèrent de nouvelles zones de pêche grâce à des bateaux plus performants. En 1992, craignant une surexploitation de l'espèce, des mesures restrictives sont mises en place pour la gestion de la pêche.

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Contexte

La pêche commerciale à l'esturgeon noir est règlementée quant à la taille, au nombre de prises, à la saison et aux engins de pêche. La période de pêche s'étend du 1er mai au 30 juin et du 15 août au 15 octobre dans la zone de Montmagny-L'Islet et du 15 mai au 15 août dans le Bas-Saint-Laurent. Pour protéger les reproducteurs, les esturgeons de plus de 86 cm sont remis à l'eau. Chaque pêcheur possède un permis qui octroie un quota de prises. En 2016, 4417 esturgeons noirs ont été capturés, pour un total d'environ 43 tonnes. La plupart des pêcheurs d'esturgeon noir possèdent des permis pour d'autres espèces, par exemple pour l'anguille et pour l'esturgeon jaune qui vit en eau douce jusqu'à Saint-Roch-des-Aulnaies.

La pêche à l'esturgeon se pratique aux filets maillants. Seul le filet à maille de 19 à 20,3 cm est autorisé. La longueur du filet ne doit pas dépasser de 20 à 50 brasses (une brasse équivaut à 1,83 m), soit de 36,6 m à 91,5 m selon la zone de pêche pour un total de 500 brasses. En général, la hauteur du filet est de 2 brasses, soit 3,66 m.

Deux types de pêche sont pratiqués. Certains pêcheurs dans la région de Kamouraska pratiquent la pêche à gué : les filets sont fixés sur les battures pour la saison. Dans la région de Montmagny, la pêche est embarquée : les filets sont installés en eau peu profonde (variant de 2 à 16 mètres) pour la saison de pêche ou déménagés selon les déplacements des poissons.

Autrefois fabriqués de coton, les filets sont aujourd'hui de fibres synthétiques. Certains pêcheurs les fabriquent, d'autres les achètent déjà montés. Avant d'être utilisés, les filets sont « maillés », c'est-à-dire que les mailles sont reliées pour y passer les ralingues (cordages) qui maintiendront le filet perpendiculaire dans l'eau. La ralingue supérieure est munie de flotteurs pour assurer sa flottabilité; la ralingue inférieure est munie de plomb ou encore d'une corde plombée.

Pour la pêche embarquée, le filet est attaché à chaque extrémité sur un morceau de bois muni d'un cordage formant triangle. L'oeil du cordage (bout du triangle) est raccordé à un câble d'ancrage reposant sur le fond. Au bout du câble, l'orin (cordage) relit la bouée en surface, permettant de repérer le filet et le numéro du pêcheur, à l'ancre qui maintient le filet en place.

La température de l'eau, la nourriture disponible, les conditions météorologiques, les marées, la salinité de l'eau, les changements du milieu aquatique ou les perturbations hydrologiques influencent le succès de la pêche. D'une année à l'autre, le total des captures fluctue. Pour repérer les meilleurs sites, les pêcheurs surveillent les esturgeons qui sautent hors de l'eau.

Les sites sont visités quotidiennement ou au 2 jours. Les filets sont d'abord tirés à l'aide d'un treuil cabestan manuel. Lorsqu'un bout du filet est sorti de l'eau, le filet est hissé manuellement sur le bord ou par-dessus le bateau. Les prises sont démaillées et mesurées; celles dépassant la taille règlementaire sont remises à l'eau. On coupe la tête et le poisson est éviscéré sur le bateau ou à terre. Les restes sont renvoyés au fleuve.

Les pêcheurs à gué utilisent le même type de filets. Ceux-ci sont installés à marée basse au début de la période de pêche de façon permanente, le plus souvent sur leur propriété bordant le fleuve. Les filets sont ancrés sur les battures. La longueur des filets est variable et dépend de la topographie du site. Les esturgeons pris au piège sont ramassés à marée descendante. Un tracteur avec une remorque ou un chaland sert à transporter le poisson.

Les pêcheurs vendent leurs captures à des poissonniers ou les transforment dans leur atelier. Autrefois le poisson était vendu rond, c'est-à-dire entier, aux particuliers. Aujourd'hui, il est fileté. L'esturgeon est vendu frais, congelé ou transformé en différents plats cuisinés. Mais c'est surtout fumé qu'il est vendu sur le marché régional.

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Apprentissage et transmission

Différentes espèces présentes dans l'estuaire étaient pêchées selon les saisons : hareng, bar, capelan, esturgeon, alose, éperlan, poulamon, anguilles étaient vendus localement. L'esturgeon s'inscrivait dans le calendrier de pêche. La pêche était une ressource complémentaire au travail agricole. Aujourd'hui, même si elle s'est professionnalisée, la pêche à l'esturgeon représente un revenu d'appoint pour plusieurs pêcheurs. Le quota maximum annuel total est de 56 000 kg. Une dizaine de pêcheurs se partagent 22 permis (2017). Le quota par pêcheur varie d'une dizaine d'esturgeons à 1 400 esturgeons par permis. En général, c'est dans la famille que les permis sont transmis.

La majorité des pêcheurs sont issus de familles ayant pratiqué la pêche à l'esturgeon sur plusieurs générations. Souvent tous les enfants de la famille étaient impliqués dans la pêche, pour fabriquer et ramender les filets, participer à l'installation et au levage des filets ou pour aider au transport ou à la vente de l'esturgeon. C'est auprès des membres de la famille, père, grand-père, oncles que les pêcheurs ont fait leur apprentissage en observant et en participant aux activités de pêche.

Les connaissances liées à l'espèce, à son habitat, aux sites de pêche, aux meilleures conditions de capture, fruit de l'expérience et de l'observation accumulées sur plusieurs générations, sont transmises oralement. Aujourd'hui, les pêcheurs soulignent devoir composer avec les changements climatiques, les différentes menaces à l'écosystème et les mesures de conservation de l'espèce.

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Emplacement

Region administrative :

  • Bas-Saint-Laurent
  • Chaudière-Appalaches

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Références

Notices bibliographiques :

  • Enregistrement avec BLAIS, Marcel, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'esturgeon noir du Saint-Laurent », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Berthier-sur-Mer, 29 juin 2017.
  • DENYS, Nicolas. Description géographique et historique des costes de l'Amérique septentrionale avec l'histoire naturelle du païs. Paris, Chez Claude Barbin, 1672. 308 p.
  • DUHAMEL DU MONCEAU, Henri-Louis et L. H. de LA MARRE. Traité général des pesches, et histoire des poissons qu'elles fournissent: tant pour la subsistance des hommes que pour plusieurs autres usages qui ont rapport aux arts et au commerce. Paris, Saillant & Nyon, 1769. s.p.
  • GIGUÈRE, Georges-Émile. Oeuvres de Champlain. Montréal, Éditions du Jour, 1973. 1478 p.
  • L'ITALIEN, Léon, Yves PARADIS et Guy VERREAULT. Bilan de l'exploitation de l'esturgeon noir dans l'estuaire du Saint-Laurent en 2016. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, 2017. 2 p.
  • Enregistrement avec LACHANCE, Donald, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'esturgeon noir du Saint-Laurent », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Montmagny, 25 août 2017.
  • LAHONTAN, Louis Armand de Lom d'Arce, baron de. Oeuvres complètes (Édition critique par Réal Ouellet avec la collaboration d'Alain Beaulieu). Bibliothèque du Nouveau Monde. Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1990. 1474 p.
  • LAMBERT, Michel. Histoire de la cuisine familiale du Québec. Vol. 2 - la mer, ses régions et ses produits. Québec, Les Éditions GID, 2006. 912 p.
  • LESCARBOT, Marc. Histoire de la Nouvelle France contenant les navigations, découvertes, & habitations faites par les François [...]. Paris, Jean Milot, 1609. 888 p.
  • Enregistrement avec MORIN, Claude, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'esturgeon noir du Saint-Laurent », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Saint-Jean-Port-Joli, 11 juin 2017.
  • NICOLAS, Louis. The Codex canadensis and the writings of Louis Nicolas : The natural history of the New World (Histoire naturelle des Indes occidentales). Montréal, McGill-Queen's University Press, 2011. 555 p.
  • TREMBLAY, Serge. Caractérisation de la pêcherie commerciale à l'esturgeon noir. (Acipenser oxyrinchus) dans le secteur de Montmagny en 1994. Rapport technique. Québec, Ministère de l'Environnement et de la Faune, 1996. 27 p.
  • Enregistrement avec VERREAULT, Guy, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La pêche à l'esturgeon noir du Saint-Laurent », Pêches traditionnelles, Ministère de la Culture et des Communications (dir.), Saint-Jean-Port-Joli, 16 novembre 2017.
  • s.a. Relations des Jésuites : contenant ce qui s'est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France. Vol. I à VI. Montréal, Éditions du Jour, 1972. s.p.

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