Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Tikinagan: porte-bébé autochtone

Type :

Patrimoine immatériel

Thématique :

  • Patrimoine autochtone (Patrimoine des Premières Nations)

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Pratique
  • Savoir-Faire

Classification :

  • Pratiques coutumières > Pratiques coutumières du cycle de la vie > Enfance (puberté, adolescence) > Protection
  • Pratiques techniques > Liées au transport (métiers inclus) > Terrestre > Portage
  • Pratiques techniques > Liées aux matières premières > Pratiques de transformation / fabrication / assemblage > Mixte

Éléments associés

Inventaires associés (1)

Description

Le tikinagan est le porte-bébé autochtone. Sa forme et les matériaux utilisés pour sa confection varient selon les nations. Il est en général composé d'une enveloppe cousue sur une planche munie d'un repose-pied, d'une poignée et d'une courroie pour le transport. L'armature de bois, l'assemblage et le travail de la babiche sont effectués par les hommes. L'enveloppe, de tissus ou de cuir tanné et boucané, est cousue et brodée par les femmes. La décoration du tikinagan est soignée; les motifs floraux, animaliers ou célestes ont une signification symbolique pour protéger l'enfant et le le mettre sur le droit chemin.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

Dans la culture autochtone, les enfants étaient rapidement intégrés aux tâches et aux activités quotidiennes. Les nouveaux-nés et les nourrissons étaient transportés sur le dos de leur mère dans un porte-bébé jusqu'au sevrage et à leurs premiers pas. Installé dans le tikinagan, la mère pouvait garder un oeil sur l'enfant.

Les sources écrites sur la Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles témoignent de «l'amour extraordinaire» des Autochtones pour leurs enfants, de l'absence de châtiments corporels, de la liberté laissée aux enfants. Les différences culturelles concernant les soins maternels entre les Autochtones et les Françaises sont soulignées : l'allaitement, l'alimentation, les vêtements et la façon de porter les bébés. Dans les sociétés européennes, les mères portaient leur bébé dans leurs bras et les installaient dans un berceau pour dormir. Chez les Autochtones : «les mères les portent derrière leur dos les femmes le portent (le berceau) avec leurs enfants : aussi n'est-il composé que d'une planche de cèdre, sur lequel le pauvre petit est lié comme un fagot». Le récollet Sagard (1623-1624) décrit ainsi le tikinagan : «Durant le jour ils emmaillotent leurs enfants sur une petite planchette de bois, où il y a à quelques-unes un arrêt ou petit aiz (planche) plié en demi-rond au dessous des pieds, et la dressent debout contre le plancher de la cabane, s'ils ne les portent promener avec cette planchette derrière leur dos, attachée avec un collier qui leur prend sur le front» il ajoute qu'il sont enjolivés d'objets décoratifs (matachias). Sans vêtement, il était emmailloté dans une fourrure ou une peau souple d'animal. En guise de couche, sous le bébé on utilisait de la mousse.

Dans les années 1960, le tikinagan est presque disparu et a été remplacé par les landaus et poussettes. Aujourd'hui, il renaît tout comme les cérémonies reliées au cycle de l'enfance. Dans plusieurs communautés, les sages-femmes et les aînées dispensent des enseignements traditionnels sur la grossesse. Dans un mouvement de quête identitaire, certains rituels sont réactualisés. Par exemple, lorsque l'enfant commence à marcher, on effectue la cérémonie des premiers pas; celle-ci a pour but de faire prendre conscience à l'enfant de sa responsabilité envers la communauté et la Terre-Mère. Le garçon recevra un objet symbolique relié à son rôle de chasseur (gibecière, hache, tambour) et la fillette recevra souvent un petit tikinagan, marquant son rôle de porteuse de vie.

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Contexte

«Le tikinagan est un objet sacré, tout comme l'enfant qui vient de naître. Il faut en prendre soin, le traiter avec respect, ne jamais le poser à l'envers pour le remiser il faut l'accrocher, c'est ce que mes grands-parents m'ont enseigné». Marguerite Petiquay-Chilton pratique parfois des rites de purification pour le tikinagan. Elle utilise la sauge, une des herbes sacrées, pour la fumigation et la plume d'aigle, objet sacré pour disperser la fumée et faire parvenir les prières au Créateur. En invoquant l'esprit des grand-mères, elle purifie le lieu, les personnes et le tikinagan.

Charles Coocoo, guide spirituel et écrivain atikamekw, évoque dans ses récits et poèmes le pouvoir des objets pour l'intégration harmonieuse de l'enfant dans la Création. La forme du tikinagan est à l'image du Créateur qui tend les mains, il est fabriqué par l'homme avec la nature grâce au don du bouleau. Il symbolise l'interrelation entre tous les éléments de la Création, les hommes et les esprits.

Marguerite, ses enfants ainsi que ses petits-enfants ont tous été transportés dans un tikinagan, Aujourd'hui, elle prête un tikanagan lorsqu'une femme accouche. Elle en a fait fabriquer pour les offrir aux femmes de sa famille.

Le principal avantage du tikinagan selon Marguerite Petitquay-Chilton, c'est la sécurité. Lors des déplacements en forêt, porté sur le dos de la mère, l'enfant s'y sent en sécurité, en contact direct avec sa mère. La poignée (akikowehon en atikamekw) évite également que l'enfant soit blessé lors d'une chute. Pendant les expéditions en canot, la poignée empêche le tikinagan «qui flotte» de tomber du mauvais côté. Elle peut le bercer pour l'endormir. À l'intérieur de la tente, on utilisait une enveloppe appelée misaspison confectionnée de peau d'orignal ou de tissus, doublée de fourrure et lacée sur le devant. Chez les Atikamekws, dans les tentes, on utilisait également des tikinagans d'écorce de bouleau, fabriqués selon les mêmes techniques que pour les paniers : les morceaux d'écorce sont cousus sur une branche avec des racines d'épinette, des lacets de peau d'orignal sur le devant solidifient l'assemblage.

Pour installer le bébé dans le tikinagan, on dépose un matelas sur la planche. Il était autrefois rembourré de plumes de canards. Aujourd'hui, on utilise des matériaux synthétiques.

La grand-mère de Marguerite lui a montré comment faire des couches à insérer dans le tikinagan : on cueillait des mousses ensuite bouillies et séchées, puis déposées entre deux morceaux de tissus. On commence à emmailloter les pieds du bébé en repliant la couverture sous lui pour former un étui. Le bébé est enveloppé dans une seconde couverture selon la même méthode. Le bébé est déposé sur le matelas et le laçage débute. Le bébé doit être confortable et pouvoir bouger. Parfois, le bébé portait un vêtement ouvert à l'arrière, on rabattait les pans à l'avant et on attachait les mains du bébé avec les cordons de la jaquette. Aucune partie du corps n'est ainsi à découvert pendant le portage. Pour protéger la tête de l'enfant, on lui mettait un bonnet et on déployait une petite couverture sur la poignée, couvrant aussi le visage, le protégeant du froid et des branches.

Pour les portages, la mère utilise la courroie attachée à l'arrière de la planche. La bande de cuir est passée au-dessus de la tête. On peut mettre la courroie sur son front pour se libérer les mains ou encore : l'enrouler sur ses bras croisés sur la poitrine.

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Apprentissage et transmission

L'enfant est un don du Créateur et la réincarnation des ancêtres, on lui voue un grand respect. C'est aussi l'avenir et la survie de l'identité culturelle. Son éducation est une responsabilité collective par laquelle il découvrira les forces qui le relient au cosmos et lui apprendra les codes de sa culture. Il développera un sentiment d'appartenance au territoire et de respect envers la Terre-Mère. Les rites de passage du cycle de l'enfance en feront un membre à part entière de la communauté.

Cette connaissance du monde qui l'entoure débute dans le tikinagan. Debout dans son tikinagan, le bébé partage les expériences sensorielles de ses parents et développera sa vision du territoire.

Marguerite Petiquay-Chilton est porteuse de traditions. Elle se souvient d'avoir pris soin de ses frères et soeurs alors qu'ils étaient dans le tikinagan. Ses enfants et ses petits-enfants ont tous été transportés dans un tikinagan et elle a initié ses filles et petites filles à son utilisation.

Lors d'une rencontre des aînés de sa communauté, on lui a demandé d'être «la porteuse de tikinagan». Les aînés constataient la disparition du tikinagan au profit des poussettes. Pourtant, ce moyen de transport traditionnel était mieux adapté aux déplacements en forêt ou lors des expéditions sur les rivières. Le tikinagan représente un certain mode de vie et sa disparition était vécue comme une perte culturelle. Honorée par cette demande, elle accepta de promouvoir l'utilisation du tikinagan auprès des femmes atikamekws. Aujourd'hui, elle rencontre les femmes lors d'ateliers ou de rencontres informelles.

Comme dans toutes les familles, Paul Niquay a appris à fabriquer des tikinagans avec son père en le regardant travailler. La fabrication n'était pas réservée à des artisans spécialisés. Il a commencé à fabriquer des tikinagans relativement tard dans sa vie en se remémorant les enseignements de son père. Il a donc appris par essai et erreur, en expérimentant. Aujourd'hui, il fabrique des tikinagans sur demande et des tikinagans jouet pour ces petits-enfants. La transmission de ces techniques de fabrication se fait de plus en plus difficile.

Dans certaines communautés, avec l'aide des aînés, les femmes enceintes sont invitées à redécouvrir les pratiques traditionnelles en soins de maternité. L'utilisation et parfois la fabrication du tikinagan sont inclus dans ces enseignements. Le retour du tikinagan fait partie des efforts de revalorisation de la culture.

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Objets

La fabrication du tikinagan débute après l'accouchement. Les hommes recueillent les matériaux en forêt : ils choisissent, coupent et plient le bois, façonnent les pièces et les assemblent. Dans les communautés atikamekws, le tremble (Populus tremuloides) et le cèdre (Thuya occidentalis) sont utilisés pour façonner la planche qui servira de support. Le bois du peuplier faux-tremble est léger et tendre, celui du cèdre est très peu putrescible, léger et odorant. Le bois est dégrossi à la hache ou scié au moulin et la planche amincie au couteau-croche. Le bois est mis à sécher pendant quelques jours pour éviter qu'il se déforme et se fende. De petits tikinagans sont fabriqués pour offrir aux fillettes.

Le bouleau blanc (Betula papyrifera) est utilisé pour fabriquer le repose-pied et la poignée. Le bois du bouleau, toujours vert, est flexible. Cette propriété permet de plier et de recourber les pièces. Il faut bien choisir son bouleau : l'arbre doit être droit et sans n¿ud. Pour s'assurer de la flexibilité du bois, ses branches doivent être tombantes. Si le bois n'est pas assez flexible on le traitera à la vapeur. Le repose-pied (nikasitehon), fait d'une planche amincie au couteau croche, est plié en forme de U. La planche aura moins de 1 cm d'épaisseur et une largeur maximale de 10 cm. Installé sur la planche, le repose-pied ne doit pas être trop large pour épouser le corps de l'enfant afin de prévenir les déformations des hanches et des jambes et protéger le bas du corps. La poignée est plus épaisse et plus étroite pour assurer une bonne préhension. Les pièces sont pliées en les maintenant sous tension à l'aide d'une corde serrée au tourniquet. Après quelques jours de séchage, elles sont installées sur le support. Le repose-pied est maintenu en place avec de la babiche. La poignée est fixée à l'aide d'une bande de bois à l'endos de la planche. Les pièces seront solidifiées avec la babiche de peau d'orignal. En séchant, la babiche rétrécit et solidifie le tikinagan. Une courroie en peau d'orignal tannée et boucanée est attachée sur le support à la hauteur de la poignée pour le transport. Aucun clou n'entre dans la fabrication du tikinagan.

Peu d'outils sont nécessaire pour fabriquer un tikinagan : une hache, une scie mécanique, un couteau croche et un grattoir pour le traitement de la peau.

Les femmes confectionnent l'enveloppe qui est fixée sur le repose-pied à l'aide de lanières de cuir. L'enveloppe munie d'oeillets et de lacets en cuir ou de rubans sur le devant maintiendront le bébé en place. Ce sac est souvent brodé et enjolivé de dentelles. Les porte-bébés sont également ornés de dessins floraux ou animaliers gravés ou peints sur la face et l'endos de la planche. Ces motifs ont une fonction narrative ou symbolique : un chasseur dessinera un orignal; un ours représentera la force; une plante, le contact avec la Terre-Mère.

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Références

Notices bibliographiques :

  • BIRON, Jean-Marc. « Un homme en colère, entrevue avec Charles Coocoo ». Relations. No 698 (2005), p. 20.
  • CHAUMELEY, Jean et Michel NOËL. Arts traditionnels des Amérindiens. Montréal, Hurtubise HMH, 2004. 191 p.
  • COOCOO, Charles. Broderies sur mocassins. Chicoutimi, Éditions JCL, 1988. 50 p.
  • LEMIEUX, Denise. Les petits innocents : l'enfance en Nouvelle-France. Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1985. 205 p.
  • Enregistrement avec NIQUAY, Paul, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La fabrication du tikinagan », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Wemotaci, 20 août 2013.
  • Enregistrement avec PETIQUAY-CHILTON, Marguerite, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « L'usage et la signification du tikinagan », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Wemotaci, 23 août 2013.
  • RAE, J. « Les droits des enfants indigènes : une perspective internationale ». Les enfants du Canada. Vol. 13, no 1 (2007), p. 49-52.
  • SAGARD, Gabriel. Le grand voyage au pays des Hurons. Montréal, Hurtubise HMH, 1976. 268 p.
  • THWAITES, Reuben Gold. The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and explorations of the Jesuit missionaries in New France, 1610-1791. Cleveland, Burrows Bros. Co., 1896. s.p.
  • Wapikoni mobile. Wapikoni mobile. Cinéma des Premières Nations [En Ligne]. http://www.wapikoni.ca

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