Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Traitement de la peau d'orignal

Type :

Patrimoine immatériel

Thématique :

  • Patrimoine autochtone (Patrimoine des Premières Nations)

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Savoir-Faire

Classification :

  • Pratiques techniques > Liées aux matières premières > Pratiques de transformation / fabrication / assemblage > Produit animal
  • Pratiques vestimentaires > Production de l'habillement > Confection > Domestique

Éléments associés

Inventaires associés (1)

Description

Le traitement de la peau d'orignal se pratique dans la plupart des communautés autochtones du Québec. Utilisée principalement pour la confection de vêtements, d'accessoires et de tambours, la peau d'orignal sert aussi à faire des cordages et des lanières, notamment pour tresser des raquettes. Le traitement d'une peau d'orignal se fait en plusieurs étapes : écharnage, épilation, trempage, étirement, séchage, assouplissement et boucanage. Pour obtenir un cuir cru ou vert appelé babiche, il faut interrompre le processus avant l'utilisation d'un agent tannant destiné à conserver et à assouplir la peau. Le traitement de la peau d'orignal est une pratique technique qui témoigne d'un ensemble de connaissances et de savoir-faire transmis de génération en génération au sein des Premières Nations.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

Le traitement de la peau d'orignal dans les communautés autochtones du Québec est une pratique millénaire qui a échappée à la consignation écrite jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet de regards extérieurs. Elle est d'abord documentée dans les relations de voyages des premiers explorateurs en Amérique, puis dans les comptes-rendus de missionnaires. En 1534, Jacques Cartier écrit qu'hommes et femmes autochtones se vêtent «de peaux de bêtes», non seulement de peaux d'orignaux mais aussi de cerfs, d'élans, de castors et de plusieurs autres animaux. La fourrure et le cuir sont les principaux matériaux utilisés pour la confection de vêtements, et ils font l'objet d'échanges entre autochtones de différentes nations, notamment entre les Atikamekws et les Hurons.

Des écrits datant de la Nouvelle-France confirment que les autochtones se servent des os longs de l'orignal ou du caribou pour fabriquer des écorchoirs et des grattoirs. Le milieu de l'os est biseauté sur la longueur et les bords sont aiguisés pour obtenir un tranchant. L'outil est tenu des deux mains à chaque extrémité, le tranchant est appliqué horizontalement sur la peau pour l'écharnage et l'épilation. Aiguilles et alènes sont aussi faites à partir des os des animaux chassés. Les techniques de tannage de la peau peuvent varier d'une communauté à une autre, mais de manière générale, soit la peau est grattée et boucanée, soit elle est grattée et frottée avec de la cervelle ou de la graisse animale. Pour assouplir la peau, certains la laissent macérer quelques heures dans une mixture crémeuse faite de cervelle, d'eau et de graisse.

Le traitement de la peau d'orignal se fait aujourd'hui selon un processus similaire à celui des anciens, même si les produits et les outils dont se servent les autochtones ont changé avec le temps. Les lubrifiants d'autrefois sont souvent remplacés par du saindoux ou de la graisse végétale, et l'on préfère maintenant les outils métalliques aux grattoirs en os. Malgré ces adaptations, le traitement de la peau d'orignal demeure un processus laborieux qui repose sur des connaissances acquises par observation et imitation.

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Contexte

L'orignal occupe une place importante dans l'univers symbolique des Algonquiens. Chez les Atikamekws, il est au coeur de récits mythiques ou légendaires (atisokan). Dans tradition orale, l'orignal fait don de sa vie pour nourrir l'homme, ce qui lui vaut le respect de ce dernier. Par respect, on récupère toutes ses parties : la chair et les abats pour l'alimentation, les os pour des outils, et la peau pour confectionner des biens utilitaires et des objets sacrés. On évite aussi de tuer les femelles gestantes ou allaitant les veaux. Lors d'une méprise, un rituel est souvent effectué et le foetus donné aux aînés.

La chasse se pratiquait en toutes saisons, suivant le cycle de vie de l'animal. Aujourd'hui, elle a lieu principalement à l'automne et en hiver. L'animal tué, le chasseur fait appel à ses proches pour l'écorchage et le dépeçage. Avec précautions, la peau est retirée à l'aide d'un couteau. Elle doit garder sa pleine épaisseur. Le travail touche chacune des couches de la peau : l'épiderme, la partie extérieure avec les poils, le derme, la couche profonde composée de collagène qui donne sa souplesse au cuir, et l'hypoderme, riche en graisse et en vaisseaux sanguins. Si la peau n'est pas traitée rapidement, elle doit être séchée ou congelée, puis réhydratée pendant quelques jours pour l'écharnage et l'épilation.

L'écharnage est la première étape du traitement de la peau. Il s'agit d'enlever les parties putrescibles telles : la chair, la graisse et les membranes. On gratte la peau étendue sur une poutre, du haut vers le bas. Par temps frais, on évite que la peau ne sèche pendant l'opération. L'hypoderme est complètement enlevé pour faciliter la pénétration des agents tannants. Répétitifs, les gestes doivent être sûrs : il faut égaliser, sans trop amincir. Certaines parties sont plus charnues, ce qui exige un plus grand effort physique. Souvent confiés aux femmes, l'écharnage et l'épilation prennent environ une journée de travail.

La peau est alors étirée pour le séchage. Un cadre rectangulaire, en troncs d'arbre, reçoit la peau tendue. Sur son pourtour, des trous sont percés avec une alène. Une corde est insérée dans les perforations. La peau doit rester bien centrée. La tension exercée par la corde étire la peau. Tout en maintenant la tension, la corde est insérée dans les trous et tournée plusieurs fois autour du cadre. En interrompant le traitement à cette étape, on obtiendra la babiche. Sinon, la peau sèche pendant environ deux jours et devient rigide et rugueuse. Après un premier séchage, si des parties sont toujours trop épaisses, la peau est reverdie et grattée de nouveau.

Après le séchage sous tension, un corps gras est appliqué pour la rendre la peau souple et imputrescible. Pour éliminer l'excédent de gras, on la laisse tremper dans une eau savonneuse pendant quelques jours, puis on la dispose sur une perche horizontale. Après avoir essoré la peau à l'aide d'un bâton, le tanneur la frappe avec un maillet de bois en appliquant toujours la même force. Casser les fibres rend le cuir souple une fois sec. La couleur est alors blanc crème. L'assouplissement prend plusieurs heures. Il est facilité par une température chaude.

La dernière étape est le boucanage. La fumée donne un cuir coloré et imperméable. La chaleur renforce l'effet tannant de la graisse et les composés dégagés par la fumée lui donnent encore plus de souplesse. Les braises sont recouvertes de bois pourri, ce qui stimule la fumée et réduit la chaleur. Placée au-dessus du foyer, la peau est cousue en forme de tuyau où la fumée pénètre. Les deux côtés sont boucanés, ce qui prend entre deux et quatre heures selon l'épaisseur et la taille de la peau. Cette opération met un terme au processus de traitement de la peau d'orignal. Le cuir peut alors être utilisé pour la confection de vêtements et d'objets.

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Apprentissage et transmission

Les savoirs liés à la chasse à l'orignal se transmettent dans la famille élargie en participant à la chasse. En accompagnant le chasseur, en écoutant ses conseils, en l'observant et en imitant ses comportements, l'apprenti fait l'acquisition des compétences requises. Sont transmis des savoirs (connaître le comportement de l'animal, les lieux propices à la chasse), un savoir-être (comportement en forêt, respect pour la nature, transmission des valeurs, les récits de chasse et les légendes) et des savoir-faire (éviscération, écorchage, dépeçage).

Les savoir-faire techniques, tels le tannage ou la confection de vêtements se transmettent dans la famille élargie, souvent sur le territoire de chasse et dans la collectivité. Les aînés, surtout les femmes, occupent une place importante dans cette transmission. Les kokoms (grand-mère en atikamekw) sont les gardiennes des traditions. Les femmes se regroupent souvent pour effectuer les travaux : corvées, préparation des peaux, confection de mocassins, tressage de raquettes. Les plus jeunes observent, écoutent et de font leurs propres expériences.

La plupart des aînés ont vécu sur le territoire. Ils ont fait leur apprentissage dans un milieu plus propice à la transmission soit les campements en forêt. Avec l'obligation de fréquenter les pensionnats, il y a eu rupture dans la transmission. Les personnes de cette génération ont souvent fait l'apprentissage des savoir-faire à l'âge adulte. Si la nouvelle génération peut encore profiter de l'expertise des aînés, les occasions de transmission se font plus rares : ils ne peuvent fréquenter le territoire que les fins de semaine.

Des excursions sont organisées en forêt pour pratiquer des activités reliées au mode de vie traditionnel. Des cours sur les savoir-faire traditionnels sont au programme des écoles. Le calendrier scolaire a été modifié pour permettre aux enfants de fréquenter leur territoire en famille. Cette activité est maintenant liée à la survie culturelle.

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Objets

La peau d'orignal, tannée et boucanée selon la méthode traditionnelle, a une texture douce et veloutée au toucher. Les vêtements (manteaux, vestes, mitaines, robes), les mocassins et les accessoires (bandeaux, sacs, ceintures, chapeaux) sont cousus à la main par les femmes. Pour la couture, les fils de coton, de lin, de soie ou synthétiques ont remplacé les nerfs, les aiguilles métalliques, celles en os.

Les vêtements étaient ornés de poils d'orignaux, de piquants de porcs-épics teints et de coquillages. Les marchands européens introduiront les perles de verre et les fils de soie pour la broderie. Des motifs floraux ou géométriques, des courbes souvent symétriques sont brodés ou perlés sur des mitaines, sur des mocassins, sur le devant ou la bordure des vestes.

Si on porte rarement des vêtements en cuir d'orignal au quotidien, il est prisé pour les costumes d'apparat et les habits de pow-wow. Ces pièces uniques sont confectionnées sur demande.

Les mocassins perpétuent la tradition. Jusque dans les années 1950, ils étaient portés dans les communautés. Un adulte pouvait en user jusqu'à dix paires par année. Les mocassins sont actuellement fabriqués pour un usage domestique ou pour la vente. Ils sont surtout portés comme chaussures d'intérieur ou avec les habits de pow-wow. On voit souvent des mocassins d'intérieur disposés à l'entrée des résidences. Les mocassins d'hiver accompagnent les raquettes en babiche. Le cuir d'orignal est également utilisé pour le tressage des raquettes.

Chaque nation possédait son mocassin orné de motifs inspirés de leur environnement et de leur cosmogonie. Des familles peuvent être reliées à des motifs particuliers. À l'origine, le mocassin était fabriqué d'une seule pièce. Le mocassin simple était porté pendant l'été. L'hiver, le mocassin montait jusqu'à la cheville ou au genou et était doublé de fourrure. Les modèles ainsi que les motifs des mocassins auraient été influencés par le contact avec les premiers Européens. Selon certains auteurs, les mocassins à empeigne auraient été introduits par les Hurons en contact avec les nouveaux colons. Certains motifs floraux auraient été inspirés de motifs de la Renaissance brodés par les religieuses.

Aujourd'hui, le plus répandu est le mocassin à couture froncée muni d'une empeigne. Sa confection nécessite 2 ou 3 morceaux de cuir, soit l'empeigne, la semelle et un morceau supplémentaire pour des revers. L'artisane utilise un patron. Comme pour le tissu, les pièces sont toujours taillées dans le sens de la peau, sinon le mocassin se déformera. Les pièces sont prises sur la peau plus épaisse du dos et des cuisses. Une peau de femelle permettra de confectionner 7 à 8 paires de mocassins. L'empeigne est d'abord brodée. Le motif est toujours symétrique et brodé pour être vu par la personne qui les porte. L'empeigne est ensuite cousue à la main à la semelle. L'assemblage se termine avec la couture du talon et du revers.

Les mocassins représentent aujourd'hui la fierté des origines et demeurent un objet symbolique. Chez les Atikamekws, des mocassins sont offerts au nouveau-né pour qu'il trace son chemin.

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Références

Notices bibliographiques :

  • CARTIER, Jacques. Voyages de découvertes entre les années 1534 et 1542. Textes et documents retrouvés. Paris, Antropos, 1968. 206 p.
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  • Enregistrement avec FLAMAND-QUITICH, Madeleine, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « L'assouplissement de la peau d'orignal », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Manawan, 7 juillet 2013.
  • LABERGE, Marc. Affiquets, matachias et vermillon. Signes des Amériques, 11. Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, 1998. 227 p.
  • LAVOIE, Kathia. Savoir raconter ou L'art de transmettre, territoire, transmission dynamique et relations intergénérationnelles chez les Wemotaci Iriniwok (Haute-Mauricie). Université Laval, 1999. 138 p.
  • LÉVESQUE, Carole. La culture matérielle des Indiens du Québec : une étude de raquettes, mocassins et toboggans. Collection Mercure. Ottawa, Musées nationaux du canada, 1976. 147 p.
  • Enregistrement avec NEWASHISH, Lucienne, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La fabrication des mocassins », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Manawan, 8 juillet 2013.
  • NOËL, Michel. Arts décoratifs et vestimentaires des Amérindiens du Québec. Montréal, Leméac, 1979. 194 p.
  • Enregistrement avec OTTAWA, Benoît, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La préparation de la peau d'orignal », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Manawan, 8 juillet 2013.
  • Enregistrement avec QUITICH, Antoine, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « L'assouplissement de la peau d'orignal », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Manawan, 7 juillet 2013.
  • ROUSSY, Marie-Josée. Transformation et transmission du savoir ethnoscientifique au niveau de l'orignal chez les Atikamekw d'Opitciwan en Haute-Mauricie. Université Laval, 1998. 138 p.
  • THWAITES, Reuben Gold. The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and explorations of the Jesuit missionaries in New France, 1610-1791. Cleveland, Burrows Bros. Co., 1896. s.p.
  • Wapikoni mobile. Wapikoni mobile. Cinéma des Premières Nations [En Ligne]. http://www.wapikoni.ca
  • Anthropologica. Vol. 16, no 1 (1974).
  • Anthropozoologica. Vol. 43, no 1 (2008).
  • Histoire, économie et société. No 4 (2008).

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