Répertoire dupatrimoineculturel du Québec

Rituels de la tente à sudation

Type :

Patrimoine immatériel

Thématique :

  • Patrimoine autochtone (Patrimoine des Premières Nations)

Vitalité :

  • Vivant

Type d'élément :

  • Pratique

Classification :

  • Pratiques éthiques > Pratique religieuse > Pratique rituelle > Rite de purification
  • Pratiques scientifiques > Divination
  • Pratiques scientifiques > Médecine

Éléments associés

Inventaires associés (1)

Description

La «suerie» est un très ancien rituel des Premières Nations qui a lieu dans une tente ou une hutte à sudation faite de bois souple formant une coupole. Le sol est tapissé de sapinage et une fosse est creusée au centre pour recevoir les pierres chauffées qu'on aspergera d'eau lors de la cérémonie. Des couvertures, sur la structure, coupent la lumière et conservent la chaleur. La dimension varie selon la nature du rituel et le nombre de participants.

Les rituels pratiqués dans la tente ont des fonctions spirituelles et thérapeutiques. Rite de purification du corps et de l'esprit, de guérison, rite divinatoire pour la chasse et d'intercession. La cérémonie ouvre la voie vers le monde des esprits. Les rituels sont exécutés dans un but particulier ou servent de préparation à d'autres cérémonies.

Le déroulement de la cérémonie, les objets sacrés utilisés et la construction de la hutte varient selon la nation ou selon l'appartenance spirituelle de l'officiant. Cependant, la structure du rituel comporte toujours un certain nombre de séquences ou «portes» rythmées par des gestes rituels, des chants accompagnés du tambour, des prières et des prises de parole.

Il est interdit de photographier et de filmer le rituel.

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Statuts

Statut Catégorie Autorité Date
Inventorié --
 

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Historique

La tente à sudation chez les autochtones du Québec est attestée par de nombreux écrits historiques. La suerie est abondamment décrite par les missionnaires et les explorateurs de la Nouvelle-France. Dans son Histoire de la Nouvelle-France (1609), Lescarbot la décrit chez les Micmacs. La suerie est utilisée par le sorcier pour guérir différents maux, avec la saignée. Champlain (1618) précise que lors des cérémonies, on chante, on bat du tambour et le «jongleur» invoque les esprits. Il ajoute que la suerie est souvent suivie d'un festin.

Le missionnaire Gabriel Sagard (1632) donne les détails de la suerie chez les Hurons. La préparation demande la participation de plusieurs personnes : on fait d'abord rougir les pierres qui sont disposées ensuite en monceau dans la cabane. Des bâtons fichés en terre sont repliés «en façon d'une table ronde». Nus, les hommes s'assoient par terre, les genoux relevés devant leur estomac autour du monceau de pierres, la cabane est alors recouverte d'écorces et de peaux afin que conserver la chaleur. : «pour s'échauffer encore d'avantage, et s'exciter à suer, l'un des deux chante, et les autres disent et répètent continuellement avec force et véhémence Het, het, het. N'en pouvant plus de chaleur, ils se font donner un peu d'air, en ôtant quelques peaux de dessus et parfois ils boivent encore de grandes potées d'eau froide». Sagard poursuit en précisant que pour «avoir bonne suerie», du tabac est brûlé en sacrifice et en offrande. La suerie se termine par un festin. Il ajoute que souvent des Français participent au rituel.

Le père Lejeune (1634) décrit le rite chez les Montagnais. Les hommes et les femmes y participent ensemble ou séparément. La suerie est un rite de guérison, mais également un rite divinatoire. Jouant du tambour, le sorcier invoque les esprits des animaux et prédit la chasse. Il intercède auprès des esprits pour faire «bonne chasse» ou «pour avoir beau temps».

Avec l'évangélisation, la suerie sera réprouvée par l'Église, tout comme le furent le tambour, la danse et les rites religieux traditionnels autochtones. Malgré la répression, le rite s'est maintenu lors des séjours en forêt. Les observations ethnographiques effectuées à partir du XXe siècle confirment la présence de la suerie et les fonctions rituelles décrites dans les récits historiques. D'une part, la construction de la tente et le déroulement de la cérémonie étaient restés sensiblement les mêmes quelque 300 ans plus tard. D'autre part, la tente à sudation était toujours utilisée pour agir directement et rapidement dans un contexte de maladie physique ou psychologique et pour repérer le gibier en cas de chasse infructueuse.

Avec la sédentarisation, l'abandon graduel du mode de vie traditionnel et les changements dans les conditions de vie, le rituel a perdu, dans plusieurs communautés, sa fonction liée à la chasse, mais pas ses fonctions thérapeutique et spirituelle. La tente demeure le lieu de communication avec les esprits pour rétablir ou renouveler la relation avec la Création, les autres et soi-même.

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Contexte

Les rituels pratiqués dans la tente à sudation possèdent souvent des caractéristiques communes, cependant le déroulement de la cérémonie et les enseignements dispensés ne sont pas homogènes. L'officiant peut s'inspirer de la pratique traditionnelle locale ou encore, s'il fait partie d'un mouvement (par exemple la Danse de la pluie ou du soleil) ou d'une société (Midewiwin), il officiera selon les enseignements reçus.

La tente à sudation est ouverte à tous. Dans certains cas, un jeûne est prescrit et il ne faut pas avoir consommé de l'alcool ou des drogues pendant une certaine période. D'autres prescriptions s'appliquent à la participation des femmes, celles-ci sont liées à leur statut cosmologique. Le principe féminin est associé à la maternité et à la Terre-Mère, les femmes doivent porter une jupe afin de maintenir le lien entre leur fonction reproductrice et celle de la Terre-Mère dont elles tirent leur énergie. En général, les femmes qui ont leurs règles ne peuvent participer à la cérémonie, car pendant cette période elles se purifient et dégagent alors une grande énergie qui risque de perturber le rituel.

Un gardien du feu a la responsabilité de chauffer les pierres pendant plusieurs heures avant la cérémonie. Il agira à l'extérieur de la tente comme assistant de l'officiant en apportant les pierres incandescentes et en faisant des offrandes de tabac. Avant la cérémonie, les néophytes recevront des enseignements sur le déroulement de la cérémonie. Chaque participant fait une offrande sous forme de tabac, d'herbes sacrées, parfois de fruits. L'officiant les offrira, au nom de l'assemblée, pour faciliter la communication avec le Créateur et les esprits.

En général, la cérémonie comporte quatre séquences ou «portes» de 20 à 30 minutes chacune. Entre chaque séquence, l'entrée est ouverte pour laisser s'échapper la chaleur.

Avant de pénétrer dans la tente, l'officiant purifie par fumigation la tente et chaque participant. L'entrée dans la tente se fait dans le sens horaire. L'assemblée ayant pris place, l'officiant demande à chacun de se nommer et de donner son appartenance (clan, nation, etc.). Le gardien du feu apporte les premières pierres incandescentes, les dépose dans la fosse et ferme la porte. Les pierres, qu'on nomme grands-pères, sont les ancêtres. Ils donnent leur vie sous forme de chaleur pour la tenue du rituel et transmettent les messages au Créateur. Les participants les remercient avec une formule « onjour, grand-père». À chaque porte, de nouveaux grands-pères sont apportés dans la tente.

Chaque séquence est dédiée à une des quatre directions sacrées. À chacune des directions correspond un ensemble d'attributs et d'enseignements : la porte de l'Est correspond au feu, à la naissance et au domaine spirituel, celle du Nord à l'air, à la fin de la vie et à l'intellect. L'officiant, à l'aide d'une branche de sapin ou d'une louche, asperge d'eau les pierres et interpelle les esprits et les ancêtres. Des prières, des chants au tambour et des récits accompagnent chaque porte. En donnant des enseignements sur les directions, il invite les participants à prier et à méditer. L'officiant jette des herbes médicinales broyées sur les pierres afin de dégager leur pouvoir de guérison. Chacun est invité à s'exprimer sur les raisons de sa présence : la guérison physique ou psychologique, la guérison d'un proche, la résolution d'un conflit, une faveur, le bien-être collectif, etc.

La chaleur s'intensifie, l'inconfort et la douleur augmentent au fur et à mesure qu'on apporte les grands-pères. L'officiant invite les participants à s'abandonner, à vivre l'expérience et à dépasser leurs limites.

Lorsque les 4 portes ont été exécutées, la cérémonie se clôt près du feu sacré où les participants font une dernière offrande de tabac. Selon le rite suivi, les participants sont invités soit à se laver pour expurger les énergies négatives, soit à garder la sueur pour rendre les prières plus efficaces.

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Apprentissage et transmission

Le contexte de l'apprentissage et le mode de transmission se sont modifiés au cours des dernières décennies. Au milieu du XXe siècle, l'ethnologue Jacques Rousseau décrivait le rite de la tente à sudation chez les Innus. Pour diriger la cérémonie, la personne devait avoir reçu un chant de tambour en rêve. D'autres auteurs précisaient que ce sont les aînés, plus spécialement les chasseurs, qui étaient habilités à diriger le rituel. En effet, le statut d'aîné confère, dans la tradition autochtone, un pouvoir spirituel ; celui de communiquer avec les esprits. Aujourd'hui, le statut d'aîné n'est plus la seule condition pour guider le rituel. La légitimité de l'officiant s'acquiert par un long cheminement personnel et une initiation auprès de guides spirituels. Il n'est pas rare que des guides d'autres nations soient invités pour exécuter la cérémonie et donner des enseignements spirituels.

La transmission des savoirs rituels traditionnels locaux est de plus en plus difficile dans le contexte contemporain. Puisque la survie du groupe ne dépend plus de la chasse, la part du rituel reliée à cette activité a perdu de son importance. Avec les changements dans les conditions de vie, les besoins individuels et communautaires, d'ordre thérapeutique ou spirituel, ont profondément changés.

Issu d'une tradition ancienne, le rituel de la tente à sudation connaît aujourd'hui un regain de popularité auprès des populations autochtones et allochtones. La tente à sudation est utilisée dans différents contextes : pendant les cercles de guérison, en milieu carcéral, pour initier les jeunes à la spiritualité autochtone, lors de pow-wow, etc. La cérémonie s'adapte au contexte pour répondre aux nouveaux besoins.

Dans la plupart des communautés, les rituels s'inspirent de la tradition locale et empruntent aux traditions autochtones communes. Par exemple, un officiant innu dit avoir appris de son grand-père. Sa conduite du rituel s'inspire de diverses traditions autochtones tout en respectant les éléments de la spiritualité traditionnelle innue.

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Objets

Les cérémonies de tente de sudation s'organisent spontanément tout au long de l'année. L'hiver, la tente est installée sous un plus grand abri. Une ou plusieurs tentes peuvent également être installées pour des événements particuliers.

Il faut d'abord recueillir les matériaux nécessaires à la construction de la tente. On choisira des branches d'aulne, de saule ou de bouleau de petit diamètre suffisamment souples pour pouvoir ployer sans rompre. Les pierres de rivières, bien séchées, de forme ronde de 20 à 30 cm de diamètre seront choisies avec soin. On coupera du sapinage pour recouvrir le sol de la tente. Selon le type de cérémonie qu'on y tiendra, la tente sera montée dans la cour arrière d'une maison, en forêt ou dans un lieu significatif pour la communauté.

Les branches d'aulne ou de saule sont fichées dans le sol, en cercle, à une distance d'environ 50 à 60 cm. Les branches sont ployées et plantées à l'autre extrémité pour former une coupole. Pour solidifier la tente, des branches sont attachées horizontalement sur la structure. Au centre, un trou est creusé pour recevoir les pierres chauffées. Les femmes ont ensuite la charge de recouvrir le sol de sapinage (branches de sapin ou de cèdre selon la tradition). La tente est recouverte de plusieurs couches de couvertures. La porte est orientée vers l'est, direction de la naissance du soleil et de la personne. L'est symbolise également l'élément spirituel de la roue de médecine. L'espace rituel, en forme de cercle, représente le ventre maternel, le retour aux origines.

Le feu est installé à quelques mètres de la tente, face à l'entrée, à l'est. Un axe symbolique est balisé de sapin ou de cèdre entre la tente et le feu. L'officiant fait une offrande de tabac aux quatre directions à l'emplacement du feu. Les pierres y seront chauffées pendant plusieurs heures. Le nombre de pierres utilisées dépend de la dimension de la hutte ou de la tradition suivie par l'officiant. Les pierres sont disposées en pyramide sur une plate-forme de bois et recouvertes de bûches.

Divers objets sacrés peuvent être utilisés pendant le rituel. Le hochet, le tambour sacré, le calumet, les herbes sacrées sont les instruments privilégiés pour entrer en communication avec les esprits.

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Références

Notices bibliographiques :

  • ARMITAGE, Peter. « Religious Ideology Among the Innu of Eastern Quebec and Labrador ». Religiologiques. No 6 (1992), p. 63-110.
  • CHAMPLAIN, Samuel de. Oeuvres de Samuel de Champlain. Montréal, Éditions du Jour, 1973. s.p.
  • LESCARBOT, Marc. Histoire de la Nouvelle France contenant les navigations, découvertes, & habitations faites par les François [...]. Paris, Jean Milot, 1609. 888 p.
  • Enregistrement avec NIQUAY, Herman, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La tente à sudation », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Pessamit, 22 octobre 2013.
  • ROUSSEAU, Jacques. « Rites païens de la forêt québécoise : la tente tremblante et la suerie ». Les Cahiers des Dix. No 18 (1953), p. 129-155.
  • SAGARD, Gabriel. Le grand voyage au pays des Hurons. Montréal, Hurtubise HMH, 1976. 268 p.
  • THWAITES, Reuben Gold. The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and explorations of the Jesuit missionaries in New France, 1610-1791. Cleveland, Burrows Bros. Co., 1896. s.p.
  • Wapikoni mobile. Wapikoni mobile. Cinéma des Premières Nations [En Ligne]. http://www.wapikoni.ca
  • Enregistrement avec WASHISH, Joseph, réalisé par SAINT-PIERRE, Louise, « La tente à sudation », Patrimoine immatériel des Premières Nations, Wapikoni mobile (dir.), Pessamit, 24 octobre 2013.

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